Cette marge de brume, ce halo de flou autour de son sujet (pour employer un terme du vocabulaire pictural ou photographique), conjugués avec le jet cruement focalisé de son éclairage sur certaines clés qui recréent l'anecdote, lui donnent une manière d'atmosphère qui lui est toute particulière et convient parfaitement à son propos : nous tenir en éveil pour que nous puissions faire nos choix, mûrir nos décisions et vivre en pleine conscience parmi les hommes et les femmes qui sont un peu nous-mêmes.
Plus encore : les derniers poèmes de Dagadès prennent une force de contestation supplémentaire par ce (parce) qu'ils ne nomment pas.
De plus en plus, dans certains zines de la presse parallèle, la place est faite au cri primitif, à l'épanchement sans retouches (comme si la poésie était le rot plus que le rôti et toute la fraternité du repas en commun). On s'étale, on désigne, on affirme, on exhibe. Le pouvoir de la tripe.
De plus en plus, dans les Revues de certains Universitaires, s'établissent les nouveaux Rhétoriqueurs de la dite Avant-Garde, déjà à la mode, qui privilégie le travail textuel superficiel au détriment de la communication en profondeur (comme si la poésie c'était l'éprouvette et non la longue épreuve du dénu-dement et du dénuement jusqu'au noyau de l'atome de vie). Le pouvoir du cerveau.
Je ne refuse ni l'un ni l'autre parce que la première exigence que je pose devant notre recherche, c'est la liberté. Mais j'ai mes préférences, mes faiblesses, mes fois.
Dagadès est arrivé à ce point où le poème est à mi-chemin entre le cri profond et l'ersatz de laboratoire, entre la tripe et le cerveau. A sa juste place.
Dagadès est un de ces poètes qui font que je suis toujours sur la brèche de la défense du poème par le modeste biais de TRACES, en dépit du découragement devant les embûches et les leurres.
C'est un poète viscéral, si l'on veut se souvenir que « viscères » désigne tout ce qui est à l'intérieur du corps : cerveau, tripes, etc...
Il n'y a, il n'y aura jamais à TRACES que des poètes viscéraux. Certains, à mes yeux, demeureront exemplaires. Dagadès est de ceux-là.
Michel-François Lavaur
décembre 77
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« Tambours, tambours,
ouvrez les yeux à vos baguettes... »
C'est par la netteté du dire et la lucidité du dit que l'écriture de Dagadès m'a tout d'abord retenu. Ce n'est pas de la littérature. (Je range arbitrairement — et un peu dédaigneusement — sous ce terme, tout ce qui, dans l'écrit, relève de la parade, de la mièvrerie, du faux et du fat : écrire des poèmes, c'est la manifestation d'une manière d'Être ; faire de la littérature, c'est Paraître). Son texte n'est pas un mannequin de vitrine,
un camelot, un automate programmé pour épater la galerie.
Il respire. Il est chaud. Des pulsions contrôlées l'animent et l'agitent. Il n'est pas exempt de tics mais, plus que facilités et faiblesses d'auteur, ce sont gestes et habitudes indispensables au plein épanouissement du savoir-faire de l'artisanat d'écrire.
C'était, déjà, un peu ce que j'écrivais dans ma laconique présentation de GLAISE pour TRACES 42 :
« Ce n'est pas artifice, ni jeu. Les allitérations qui bruissent, qui tonitruent dans les poèmes de Dagadès sont les pierres du gué, les paliers de l'échelle à saumons. Soupirs et sursauts, cris et échos canalisent et animent le vers torrentueux, la verve impétueuse. L'encre est sang et sueur.»
J'ai parfois regretté que l'écriture de Dagadès, dans le poème, ait une trajectoire dont la tendance était de demeurer en deçà de sa portée, ne désignant pas sa cible, imprécise dans ses visées, évasive dans ses buts. Mais, à la réflexion, pour celui qui ne connaît pas l'acidité, ponctuée de références et de détails révélateurs, qui sous-tend sa correspondance ou sa conversation, ce retrait par rapport à l'engagement militant, n'est pas aussi évident.
Je crois que la distanciation qu'il fait, dans ses poèmes, entre le vécu qui l'inspira et le texte abouti, est dans la nature même de la démarche poétique qui est difficilement slogan, diatribe ou pamphlet.
Michel-François Lavaur
(extrait de la préface de ce numéro)
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