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(Françoise)

 

Sommaire 57
2eme trimestre 1975


"Entrez dans ce pays"
Approche poétique de la Saintonge

Textes de Claude Normand, Rémy Prin, Christian Robin,
Christian Thébault

Comptines, poèmes et dessins d'enfants d'Aulnay
Paroles paysannes, comptines et chansons de tradition orale recueillies par les gens de Brioux



Avant-propos
rémy prin

A l'orée


Ce que contiennent les pages qui suivent tient de l'incessance des saisons, des silhouettes fragiles hésitantes aux carrefours des routes. Propos ancrés dans la terre, chacun révélant ce pays d'ombre fluide et d'épaisseur humaine, aujourd'hui lieu à la fois terrassé, en exil de lui-même, et recherchant pourtant, à tâtons, une nouvelle affirmation de soi.
Les paroles rassemblées ici sont celles d'habitants des confins de la Saintonge et du Poitou. Mais, au travers de ce territoire de quelques lieuetecarrées, elles portent témoignage de ce pays de l'homme lié dans sa chair à la sève de la terre, d'un homme à la mémoire millénaire, aux gestes enracinés.
Ainsi, ponctués ça et là d'images - trouées d'espace dans la parole -, s'enchevêtrent des documents de tradition orale recueillis auprès de paysans - l'écho immense -, des poèmes - l'aujourd'hui en ces lieux-ci -, des comptines - l'exubérance des enfants d'autrefois et de maintenant. Avec l'espoir de saisir, derrière ces rumeurs mêlées, des murmures qui témoignent d'un "autre vivre", partie prenante des écorces et des visages fraternels.
Ce numéro est peut-être à parcourir comme on détaille un paysage d'un chemin bocager et avec ses lenteurs, ses apaisements, ses violences, ses angoisses. Nous avons essayé que le texte suive sa respiration, continûment, comme la terre saisonnière. Plutôt que de rompre la "grande vague du trèfle rouge", nous avons préféré reporter le répertoire des textes et de leurs auteurs à la fin de la revue, ainsi que la présentation de ceux qui y ont colis bore.

Mais chacun pour le moment s'efface, et puisque nous voici au seuil...

Entrez dans ce pays d'anciens voyages
Marchez sur ces chemins paysans tassés par les siècles
Passez le seuil et que ces lieux de pierre et de sueur humaine et de misère dans les mains portée, vous soient comme une vieille auberge
Prenez-y ce peu de fraîcheur en vous-mêmes, ce peu de parole gravée là pour les passants
Parlez pour ceux qui ont partagé cette maison d'errance au cours des âges, parlez de cette vie mesurée qui vous incombe
Et si l'ombre la nuit vous montre le chemin,
Dites les mots fraternels des gens de nulle part pour ceux qui restent



Un homme marche seul
Dans le lent écartèlement du vent
octobre accouche ses rafales
Un homme marche seul
Les arbres usent en vain leurs griffes
à déchirer la cuirasse de pluie
Un homme marche seul
Les pas s'engluent dans les flaques de glaise et la pierre agonise
Un homme marche seul
serrant contre son ventre
une vitre filée de larmes

Il y a une fente dans la porte de la grange
mais l'abeille ne s'en soucie pas
La grande vague du trèfle rouge l'attire
plus que l'odeur aigre des silos
Une fumée à l'horizon
C'est l'espace du désir serein
où la mauve et la limace font l'amour
Retire-toi du bruit des moissons
L'ombre de la haie saura te laver des horloges

Glissement de miel sur ta chair offerte




D'un même mouvement, le passé dans les veilles
Cogne sur nos amours.

Si nous venions, ensemble adossés à la nuit,
De ce patient enchevêtrement du vent,
De 1'homme d'avant
Et de la terre approfondie
Le ventre du nuage
s'enfle de la blancheur
Que les âmes en rêvant
Ont essayé d'imaginer


Ont participé à ces TRACES multiples, entrelacées
Les enfants de la classe de perfectionnement de Liliane COUPRIE, à Aulnay de Saintonge. Agés de 8 à 12 ans, ils ont essayé d'exprimer leur monde quotidien, par des dessins et comptines. L'écriture des comptines s'est faite la plupart du temps de manière collective. Les dessins, par contre, sont individuels. Première approche de la magie des mots et des traits sur le papier, dont la naïveté et la logique à la fois pressentent le "coeur dur" des chemins et des palisses.


Les "GENS DE BRIOUX" : ils sont une quinzaine, qui, depuis trois ans, parcourent le Sud-Ouest du Poitou, à l'écoute des paysans, violonneurs et conteuses, a l'écoute de cet écho grave de la terre transmis d'âge en âge. Aujourd'hui, riches de ces paroles d'au-delà des rides, aujourd'hui que ce pays chaque jour un peu plus est en danger de perdre sève, ils cherchent passionnément le versant de l'espoir, et comment rendre aux gens d'ici, maintenant, ce goût d'ensemble élucider la nuit par chants, contes et fredaines

Claude NORMAND anime à Varaize une revue de poésie, SILEX, qui "veut présenter de jeunes poètes ayant peu ou pas publié, ou des poètes oubliés par la mode poétique" (Ecrire t C. NORMAND, SILEX, Varaize - 17400 St Jean d'Angély). Grande pudeur d'une écriture affinée, brisures affleurant sous le couvert, poésie qui guette toute rive, tout écho venu de soi ou de ces pluies laissant aux paysages leur plénitude nue.


Christian ROBIN, c'est l'exubérance secrète et parfois dispersée, des éclats durs et tendres mis ensemble, d'où naissent des soubresauts d'angoisse, des stridences mal fermées. Comme en contrepoint, ces phrases désarticulées proposent un univers sans liant, qui se lève sur une "aurore de poussière". ROBIN, qui reconnaît comme influences celles de Béalu, Tardieu et Gracq, publie ici ses premiers poèmes. Il a fait paraître récemment un roman fantastique, "Les Limbes de la mer".

D'une autre berge, la parole de Christian THEBAULT se veut mise à l'écart. Commence ici l'acte de dire les choses tues, toutes puissances alertées derrière le visage. Ainsi le poète émerge lentement, se défait des très hauts barrages qui l'enserrent„ pour accéder à ce souffle d'amour qui hante la distance des mots, les rend proches. Il s'agit bien ici de l'homme, par 1*écriture identifié, de l'homme aux "mains de juif errant/ quelque part" ... Pour Christian THEBAULT aussi, ce numéro est l'occasion d'une première publication.


II fallait bien qu'un jour Rémy PRIN fasse ce numéro de TRACES -aider au surgissement d'une parole humble et vive, enracinée au creux des pierres et des vies, c'est pour lui vivre cette connivence qui aimante son pas. Les lecteurs de la revue qui connaissent ses trois recueils, L'AIR ACCESSIBLE, VISAGE INEPUISABLE et REUNIR LENTEMENT, savent "cet ourlet intime dégagé des choses" que Rémy dévoile sous ses mots d'herbe et de silence caressé. Il connaît les désastres et les angoisses, et les laisse affleurer dans sa paume pour mieux saisir l'indicible accomplissement du jour. Incessante capture de la vie.

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