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Sommaire 59
Ce numéro particulier est composé d'un dossier spécial : La poésie à l'école
Hormis quelques poèmes des membres de l'équipe éditoriale, il est essentiellement composé de poèmes d'élèves de cours élémentaire et cours moyen des classe de Michel-François Lavaur à l'école du Pallet. Un texte vient raconter ces expérimentations poétiques au sein de l'école. Le principe est simple : les enfants glissent dans la «boîte à poèmes» des feuillets portant leurs écrits. Certains sont publiés bruts, d'autres soumis à correction ou sont issus d'ateliers réalisés en classe.
Généralement conçus pour paraître dans La Javelle, la gazette de l'école, ils forment un numéro des cahiers poétiques TRACES.


Toutes les illustrations sont des dessins d'enfants

Le vent de la lune rousse
est un mauvais élève.

Il secoue la serrure
et fait tomber la clé.

On peut croire
qu'il veut faire un poème
avec nous.

On lui ouvre la porte
mais toujours il la claque
en nous riant au nez.
Maintenant il se venge
sur les fleurs du jardin.

Bruno P. et la classe

 


C'est une nuit de décembre
où il fait très noir.

Dans la ville froide
les magasins brillent..

Les entants sous leurs draps
s'envolent de la chambre
et sur un lit magique
recherchent le jour
qui remplit les souliers.


Catherine B. et la classe

La poésie à l'école (extraits) de Michel-François Lavaur

Je ne pouvais pas passer un quart de siècle avec des élèves sans tenter de faire entrer la poésie dans les murs de la salle de classe. Mais il fallait inventer des procédés attrayants et pratiques, élaborer une méthode cohérente. J'ai tenté différentes expériences. J'ai connu des désillusions, des périodes de renoncement même. Bien sûr, des initiatives importantes avaient ouvert des voies à suivre, celle de la méthode Freinet tout particulièrement. C’est en m'inspirant du texte libre que j'ai employé la boite à poèmes. Cela n'avait rien de nouveau en soi mais ma démarche différait en ceci : il me semblait que le poème devait être approché, aussi, de l'intérieur, et que nous devions essayer une pratique consciente de l'écriture et une approche de son artisanat.

Toutefois, il m'est apparu rapidement que ce travail en petites équipes et en atelier formé par toute la classe sous ma houlette, comportait un risque majeur : ma personnalité ne pouvait que déteindre sur celle des enfants, quelque effort que je fasse pour limiter ma participation à nos jeux de poésie,
(et quelque attention je porte au texte brut). Parfois sa fraîcheur le plaçait d'emblée au niveau d'expression que je (encore ! mais il faut bien admettre la nécessite d'un éveilleur, donc des choix et une constante réflexion, sur les moyens et les buts de la pédagogie) souhaitais. D'autre part, il manquait à notre travail, toute la partie manuelle, graphique, picturale etc…

Nous tentions d'y suppléer en transcrivant nos textes en calligraphie, enluminures, mises en page personnelles sur des albums à un seul exemplaire mais circulant parmi les familles, sur les cahiers individuels, sur des brochures uniques faites en des occasions particulières (fêtes des mères, échanges avec les correspondants), en plus des parutions régulières dans le journal de notre coopérative: La Javelle. Nous les reportions sur des panneaux de tapisserie, des collages de papiers ou tissus, de bois, de mo quette, de pl âtre. Nous en faisions des interprétations scéniques, des chansons, des montages audiovisuels etc… Mais cela n'intervenait qu'après l'achèvement du texte.

Pour me mettre davantage hors-course, nous avons pratiqué le conte - auquel il ne manque souvent que le savoir-faire du poète de « métier » pour qu'il soit un poème en prose. Restent, tout de même, la spontanéité, les singularités propres au jeune âge. Reste aussi un certain acquis, à la suite des divers essais que nous faisons en préliminaire et en parallèle à cela. (La boite è poèmes fait partie de la classe à demeure !) Ces contes étaient la source de montages audiovisuels élaborés collectivement ou en petits groupes, avec des dessins gravés et/ou coloriés sur des diapositives ou eu papier-calque.
La photo de nos grands panneaux était aussi un des supports que nous utilisions, quand nous en avions la possibilité.

Il me paraît nécessaire d'évoquer quelques uns des jeux préliminaires et parallèles que nous utilisions.
Le but de nos jeux de poésie (ou de langage) : le déblocage, pour utiliser un terme du langage médical et pédagogique. Permettre à l'enfant, par des activités ludiques, d'apprivoiser la langue. Ne plus en avoir peur, ne plus être bloqué devant elle. Oser en user. Jouer avec elle. Se laisser aller, sans souci de l'orthographe parfois. D'abord s'exprimer, s'épanouir, être, agir même, avec et par le langage. Sentir qu'il peut être le meilleur moyen de communication (orale, écrite, graphique...) mais aussi une arme à double tranchant. D'autant plus délicat en est l'usage qu'il existe un plus grand écart entre ceux qui en possèdent tous les artifices et ceux qui prennent le langage au pied du mot, dans un vocabulaire immédiat et restreint. Leur permettre d'approcher, sans prononcer les mots, toute la marge qui existe entre lesignifiant et le signifié, tout l’éventail d'interprétation d'un seul mot d'une phrase, d ’un texte par le jeu des connotations de ce seul mot.


Voici donc quelques-uns de nos jeux de langage:
le mot-image, le mot-train ou le train de mots (cf: mot valise), le mot-rhébus, la lettre-image (le i jongle avec un ballon sur sa tête, le I majuscule regarde en l'air et se demande pourquoi son ballon ne retombe pas... Cela peut, selon les enfants, devenir une otarie qui jongle avec un ballon (et convenir au j) ou la lune sur une tour), les messages codés, le rhébus
 « détresse » (un dé et une tresse )... Les lettres-messages : Les sons des lettres sont utilis és pour former un mot, un groupe de mots, un court texte: GHEV (j'ai-ache-vé) ... On peut combiner les sous des lettres, des chiffres, des signes pour varier les possibilités: LAVIR2DS (elle avait un air de déesse)... Le message caché, selon un code préétabli, par exemple la première lettre de chaque mot (ou la dernière... ) : « Réunis enfin vous inviterez et nourri­rez Simone » (DEVIENS). On peut aussi prendre les premières syllabes de chaque mot, sauter un mot...La lettre condamnée : Ecrire une phrase, un p etit texte même, ne comportant pas la voyelle E. (Si tu sors dans la cour tu sais qu'on t'a dit d'ouvrir au chat.). L'acrostiche  : Chaque ligne ou vers doit commencer par une lettre prise successivement, du d ébut à la fin, dans le mot qui est le sujet de l'acrostiche : « Ma chère maman / Au milieu de ces fleurs /Regarde tout de suite / II y a un dessin / Et un baiser pour toi. » (Marie).
L'anagramme, la devinette, La lettre enluminée  et tant d’autres….

La comptine ci-contre de david A. lui est venue spontanément alors que son copain Hervé et lui avaient trouvé un orvet en désherbent un coin du jardin qui nous servait de terrain de sports. C'est sur le modèle de celle-ci que les autres ont été faites.


L'orvet
d'Hervé
est un casse-pied
qui marche sans pieds.

David. A


Le lapin a pris un bain
quand il sort
il pleut dehors.

Muriel H.


La sardine
de Nadine
dîne
le soir
quand il fait noir.
Valérie S.


Le bateau
de Cloclo
est sur l'eau.
Quand il fait beau
il dort
dehors
sur le bord.

Yvan B.

Venons-en donc enfin à ce procédé que j'ai exposé et pratiqué, ici et là, en dehors de labclasse dans des conférences, des cours avec d'autres élèves que les miens, entretiens et ateliers libres, à 1’Ecole Normale, dans des collèges, et dans le cadre de diverses manifestations, avec des participants de tous âges.

Il va sans dire que ce n’est pas un modèle que je propose. Seulement un truc de métier, destiné à susciter chez des collègues, des parents et toute personne ouverte à la Culture, la décision d'oser, à son tour, tenter des expériences et une pratique personnelle dans ce domaine.

Les différents point de départ de ma recherche furent donc d'abord de soustraire le plus possible les enfants de l'influence de ma poétique personnelle, pour dégager au mieux leur propre personnalité et faire une plus grande place à la participation manuelle, graphique, colorée, dans l'expression. Il s’agit de trouver un procédé pour lancer l'activité créatrice qui, dans la pratique du texte libre, (totalement libre, c'est-à-dire que l'enfant est libre de ne pas en faire) de la boite à poèmes, est soumise à l'état d’esprit de l'enfant et nécessite parfois une stimulation par divers moyens : auditions, lectures, visites.... Enfin, le souci de l'orthographe : en partant d'un texte imprimé, on permet à l'enfant de mémoriser une graphie sûre.

Voici donc le schéma.

Premier temps : L'idée est de réunir le plus grand nombre possible de magazines illustrés (en couleurs), vieux livres catalogues et autres imprimésde les expurger. Il est nécessaire d'enlever, pour mes élèves du C.E., les bandes dessinées, les publicités trop agressives, ou trop suggestives, alors que, pour des étudiants, des adultes, on peut proposer une plus grande diversité de documents. Le propos étant de rechercher des groupes de mots ayant une charge poétique, l'enfant qui se lance dans la lecture d'un feuilleton, d'une B.D, ou fait des remarques sur les dames dévêtues, ne pourra entrer dans le jeu poétique et cassera l'élan d'un groupe.

Second temps : Que chercher ? Comment ? Qu'en faire ?
C'est le palier le plus difficile à passer. Leur parler de charge poétique est complexe. il est nécessaire de définir la poésie comme une charge, en évoquant par exemple la charge magnétique qui mue une pièce de fer. Vont apparaître alors la charge de tendresse, de charme, d'humour, d'insolite, de douleur, d'amitié, qui émane de certains titres, de certaines expressions trouvées au gré du découpage de magazines et de les rendre accessible à la sensibilité de l'enfant.

La publicité fait un appel courant à quelques tics de l'écriture poétique, en particulier ceux qui nous viennent de l'héritage surréaliste. Il y a donc matière à trouvailles eu fil des pages.
Les enfants découpent donc des titres, des groupes clé mots, des phrases qu'ils mettent en archive. Parallèlement, sont conservées des lettres, des images, des mots de différentes typographies ou de couleurs.
L’enfant a besoin de certaines évidences, avant d'en venir à davantage d'abstractions, de subtilités: « les portes de la mer », « le château des sortilèges », « la fille du fleuve »...


Troisième temps
: Les découpes sont étalées sur une grande surface plane de manière désordonnée mais permettant la lecture de chaque élément. Les élèves, individuellement, par duos ou par équipes de trois ou quatre, puisent dans cette sélection et tentent des combinaisons libres. Parfois , les découpages suffisent à la composition d'un texte. Souvent aussi , il faut ajouter des mots, des phrases. Ils sont alors écrits à la main sur des bouts de papier et insérés parmi les éléments imprimés ou clichés.

 


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