La poésie à l'école (extraits) de Michel-François Lavaur
Je ne pouvais pas passer un quart de siècle avec des élèves sans tenter de faire entrer la poésie dans les murs de la salle de classe. Mais il fallait inventer des procédés attrayants et pratiques, élaborer une méthode cohérente. J'ai tenté différentes expériences. J'ai connu des désillusions, des périodes de renoncement même. Bien sûr, des initiatives importantes avaient ouvert des voies à suivre, celle de la méthode Freinet tout particulièrement. C’est en m'inspirant du texte libre que j'ai employé la boite à poèmes. Cela n'avait rien de nouveau en soi mais ma démarche différait en ceci : il me semblait que le poème devait être approché, aussi, de l'intérieur, et que nous devions essayer une pratique consciente de l'écriture et une approche de son artisanat.
Toutefois, il m'est apparu rapidement que ce travail en petites équipes et en atelier formé par toute la classe sous ma houlette, comportait un risque majeur : ma personnalité ne pouvait que déteindre sur celle des enfants, quelque effort que je fasse pour limiter ma participation à nos jeux de poésie,
(et quelque attention je porte au texte brut). Parfois sa fraîcheur le plaçait d'emblée au niveau d'expression que je (encore ! mais il faut bien admettre la nécessite d'un éveilleur, donc des choix et une constante réflexion, sur les moyens et les buts de la pédagogie) souhaitais. D'autre part, il manquait à notre travail, toute la partie manuelle, graphique, picturale etc…
Nous tentions d'y suppléer en transcrivant nos textes en calligraphie, enluminures, mises en page personnelles sur des albums à un seul exemplaire mais circulant parmi les familles, sur les cahiers individuels, sur des brochures uniques faites en des occasions particulières (fêtes des mères, échanges avec les correspondants), en plus des parutions régulières dans le journal de notre coopérative: La Javelle. Nous les reportions sur des panneaux de tapisserie, des collages de papiers ou tissus, de bois, de mo quette, de pl âtre. Nous en faisions des interprétations scéniques, des chansons, des montages audiovisuels etc… Mais cela n'intervenait qu'après l'achèvement du texte.
Pour me mettre davantage hors-course, nous avons pratiqué le conte - auquel il ne manque souvent que le savoir-faire du poète de « métier » pour qu'il soit un poème en prose. Restent, tout de même, la spontanéité, les singularités propres au jeune âge. Reste aussi un certain acquis, à la suite des divers essais que nous faisons en préliminaire et en parallèle à cela. (La boite è poèmes fait partie de la classe à demeure !) Ces contes étaient la source de montages audiovisuels élaborés collectivement ou en petits groupes, avec des dessins gravés et/ou coloriés sur des diapositives ou eu papier-calque.
La photo de nos grands panneaux était aussi un des supports que nous utilisions, quand nous en avions la possibilité.
Il me paraît nécessaire d'évoquer quelques uns des jeux préliminaires et parallèles que nous utilisions.
Le but de nos jeux de poésie (ou de langage) : le déblocage, pour utiliser un terme du langage médical et pédagogique. Permettre à l'enfant, par des activités ludiques, d'apprivoiser la langue. Ne plus en avoir peur, ne plus être bloqué devant elle. Oser en user. Jouer avec elle. Se laisser aller, sans souci de l'orthographe parfois. D'abord s'exprimer, s'épanouir, être, agir même, avec et par le langage. Sentir qu'il peut être le meilleur moyen de communication (orale, écrite, graphique...) mais aussi une arme à double tranchant. D'autant plus délicat en est l'usage qu'il existe un plus grand écart entre ceux qui en possèdent tous les artifices et ceux qui prennent le langage au pied du mot, dans un vocabulaire immédiat et restreint. Leur permettre d'approcher, sans prononcer les mots, toute la marge qui existe entre lesignifiant et le signifié, tout l’éventail d'interprétation d'un seul mot d'une phrase, d ’un texte par le jeu des connotations de ce seul mot.