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Sommaire 96
Hiver 89


Dessin de Renée Leclerc


p. 2 : Josette Barny par Odile Caradec
p. 4 : Josette Barny : éléments d'autobiographie

pages centrales :
extraits de Géométries de l'ombre et de la transparence

p. 37/40 : Echommentaires de Lavaur

Supplément Mini antho de Lavaur

Trois mots pris dans un poème
ne disent
pas mieux la poésie
que trois gouttes la mer
même si la chimie
ou la linguistique
y trouvent leur compte

Michel-François Lavaur

Extrait numéro 96

Odile Caradec

"POEMES DE CHAIR, DE CRAIE, TRACASSES DE DOULEUR"
Dans la vaste famille des poètes, Josette Barny est d'une richesse privilégiée. Elle regorge de dizaines de métaphores et pourrait en faire don à des dizaines de poètes en mal d'idées. Et cette richesse d'images va croissant au fur et à mesure que le temps passe.
Elle les puise dans sa Charente natale qu'elle arpente depuis des décennies, la besace cousue de ses mains sur l' épaule, pour champignons, poèmes et pierres à feu. Toujours bottée hiver comme été à cause des ''sarpents", elle observe et note. Elle engrange pour les futurs poèmes, plus tard elle travaillera cette moisson en chambre, avec dans l'oreille le murmure de "la plus que lente", la Charente qu'a chantée le poète Daniel Reynaud.
Les parties de pêche sont prétexte à observations minutieuses, prolongées par la lecture des livres de l'entomologiste Fabre et d'encyclopédies sur le monde animal.
Elle a un culte pour l'amitié, pour les échanges faits en marchât dans les campagnes poitevine ou charentaise. Une halte dans l'herbe permettra de lire à voix alternées les poètes qui nourrissent l'inspiration. René Char, Saint-John Perse, Jean Follain, Guillevic ... et la foules des anis-poètes prendront tour à tour leur essor en pleine nature. Et puis ce seront d'interminables conversations reprises en marchant, sur La Poésie elle-même, cette fuyante, cette insaisissable: de véritables poèmes-promenades.
Grâce à la poésie Josette Barny se libère d'une vie cicile à laquelle elle s'efforce d'être présente.
"Ce n'est pas de plein gré que j'effectue ma tâche
avec ce gros seau d'eau sur les épaules...
J'apprécie la liberté que tu m'accordes"
CONSOLE DU TEMPS


Cette poésie elle la poursuit et la fuit tour à tour.
"Tu chantes et je t'accueille sous les fougères,
Je te chasse et te poursuis, et frappe de ta hache mon sang
Tu ne crains ni la nuit dure, ni l'aube et ses chevaux de frise"

Extraits des VERTICILLES; LE SILENCE AUX GROS YEUX MACHOIRES D'EAU (Traces, éd. )
SOSIE DU COEUR ; CONSOLE DU TEMPS (J.-M. MARTIN, éd. RHYZOMES (M. Alyn, éd.)


La nuit se lève

La nuit se lève. La parcourent des visages masqués.
Le vert rituel s'émancipe aux talons des labours.
Heures où les sentes bifurquent et se suicident dans l'eau claire. Une étoile fléchit. L'été l'inonde par saccades. L'ombre s'adosse aux murailles. I.cs gorges remuent leurs vases.
Le corps s'endort dans la chaleur des lampes.

Heures douces. Fruits calmes. Ivoire du grillon sous la voûte du chêne. Luzernes saignantes, girolles indécises, et ces cris de lumières
La lune me distance. L'ombre déploie ses herbes magnifiques : Rosés-pivoines, marguerites lichens, misère-angélique. D'autres herbes : hcrbes-aux-chats, herbes aux longs doigts, herbes folles, architectes, herbes savantes, inutiles
J'accueille les jonchées. J'enlace leur sommeil.
Je froisse le rideau du contrôle.

Le silence glapit. L'ombre du fossé crache la peur. Sous l'orme, une source s'égare, un nuage cache l'oubli. Formes de la nuit d'où glissent l'algue marine, le ramier cascadeur et la couleuvre lisse. Sommeil roux, sillons lavés, vieux bois
Poèmes de chair, de craie, tracassés de douleurs.

Josette Barny

La nuit

Parées pour d'infernales rondes

Immanentes
Étrangères aux querelles des chemins

Visibles,
mais ternes

L'inceste du baiser
retrempe l'audace
et la souplesse de la nuit

Nuit plurielle, plurivalente
Hôte, gîte de l'éclair, de la brisure

Arme,
fière !

Soumets au doute l'apparence
à la vigueur, le mystère
à l'innocence, la liesse

Nuit feinte
pacifiée

Coque, bogue de l'impossible étreinte !

Nuit totale
Épaisse, tendue, aux reliefs sonores
Nuit sans complaisance

Une vieille malice anime les lèvres
arc-boute une jambe, détourne un œil
Les rites de la douleur ameublissent l'interminable absence

Noir et sans bruitage,
le sang de l'effusion.

Étoiles, farouches univers, la beauté dont la lumière vous pare est d'outre-ciel, et vous n'habitez pas notre sol, sauf parfois à l'aube, pour quelques gouttes de rosée.
Jamais le soir, lorsque les yeux se lèvent, et que les mains se tendent pour d'autres dimensions.

Josette Barny


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