ETOILE OFFERTE

Le soir offre l'étoile
après avoir incendié
la frange marina
Meurt le soleil
d'un coup
comme englouti
dans la détresse
d'amours juvéniles.

JEAN BOUHIER

JEAN BENSIMON par Lavaur

Les proses de Jean Bensimon ont une densité qui me comble. Plénitude, aussi, dans le rythme des phrases. Ces deux qualités font l'unité des textes de ce poète. Sans doute, certains puristes y trouveraient-ils beaucoup de métaphores ("images de l'amour","marais des circonvolutions") mais
en quoi cette tournure serait-elle condamnable en soi ? Bien des poètes en usent avec talent.
Le pouvoir de telles figures de style sur l'imaginaire, comme nous l'ont appris les surréalistes, vient de la singularité (la distance) du rapprochement des termes. Qui prétendrait que la métaphore n'est pas une des plus claires ouvertures, un des plus sûrs chemins vers la poésie ? Ainsi:
"Quand ils ouvraient le portait de leur mémoire, un champ de ruines s'étendait à perte de vue."
Je crois pouvoir ajouter que des poètes utilisent le vocabulaire comme des compositeurs la gamme. Trois mots, trois notes,isolés du contexte ne sont pas plus significatifs ne sont un résumé du fleuve ou de la mer, même si la grammaire ou l'alchimie y trouvent leur compte. Il faut prendre
le poème ou l'océan en entier sans le dénaturer. Celui de la page 14 : "Ma mère..." en est une illustration probante : le foisonnement des images, des sonorités, le mouvement d' ensemble, perdent à être morcelés. Les mêmes remarques pouraient être faites sur les vers et les versets
de Jean Bensimon.

Quand les cheminées bombardent la banlieue, des visages gelés promènent leur silence parmi les fragrances du temps. Bêtes lourdes couchées dans la vase, nous grattons au seuil de l'impasse imbibée de brume — grief sans accommodement vrillant le sédiment des ans, portail fermé où la clarté se cogne. Les fatigues cheminent par nos veines entartrées, méandres léthargiques circonvolutions de gris où glissent telles heures lentes et lourdes. Entraves du sang, caillots encrassant la serrure d'où filtre un rai, bas-fonds des viscères et des nerfs, vasières au revers de l'esprit, or nos yeux chassieux butent encore sur l'étroit... Mais quelle ovation retentit par la vague, quelle rutilante fait là-bas courir ses chevaux agiles, tandis que s'ébroue dans la houle l'honneur de vivre ?
Nous sommes un regard naufragé à l'orée des matins bleus.

Jean Bensimon, extraits de Stridences de l'exil, éditions Traces

ARMAND OLIVENNES par Lavaur

Saint-Cloud et Gomorrhe reprend une suite de textes parue dans TRACES 18/19 (n° qui présentait aussi le premier recueil de Paol Quéinnec - orthographiée, depuis, Keineg : "Le Poème du Pays qui a faim". J'ai une particulière tendresse pour ces poèmes que j'ai tapés , caractère après caractère, ligne à ligne, page à page. Mon goût n'est d'ailleurs pas lié à ce seul détail. Le lyrisme et la confidence, l'imaginaire, y ont la bride sur le cou. Non point pour caracoler à leur guise dans nos plates-bandes mais animés d'une rigueur lucide. Si 1' on y rencontre "Le bouvreuil des mers" , on y trouve aussi des sentences dont la force de conviction est imparable : "Nous avons tous les droits. Ce que nous n'avons pas / C'est une éternité pour partager le bon ./ le meilleur et le pire."
On ne peut pas être insensible à des vers, pleins de justes rythme et mélodie autant que porteurs de rêve, d'ouverture même sur un réel transfiguré, comme celui-ci : "je te raconterai ma seconde naissance".
L'Oliven Sten des années soixante, "engagé" , compagnon de route d'Action Poétique, est là tel quel encore, présent, dans ce beau recueil, quelque vingt ans après.