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Sommaire numéro 70
1983

POETE ET PAYSANNE
(Numéro trilingue)


Numéro spécial préparé par Lavaur d'après un dossier de Marcelle Delpastre sur les Poètes Limousins et des traductions, via le français , de textes bretons d'Angela Duval et occitans de Marcelle Delpastre.

Textes de : Michel-François Lavaur, Marcelle Delpastre, Michel Chadeuil, Roger Ténèze, Angela Duval, Jacques Lepage, Michel Bottin


Extraits de la revue

Poète et paysanne
par Michel-François Lavaur




Introduction

Je suis de ceux qui considèrent que l’apport des dialectes, est primordial, non seulement dans l'enrichissement des langues nationales mais dans celui de notre culture.

Quand on a eu la « chance » de na î tre au plus bas de l' échelle sociale, dans un pays qui a gard é un parlé et une civilisation vives, la véritable langue maternelle est ce Patois, méprisé des parvenus. Qu'on le nomme breton ou occitan, il est un idiome que l'oppression seule a coup é de l' écrit ou auquel elle ne lui a pas permis que le peuple accède.

L'occitan, que je connais, m' émerveille quand j'entends simplement ma marraine me répondre, alors que je l'accompagne, derrière ses brebis, « auriachaugut  que no faguessiam » (Il aurait fallut que nous le fissions). Après plus d'un demi-millénaire d ’apparent sommeil sur le plan de l' écrit vernaculaire, dans la bouche d'une paysanne limousine d' Aubiat, voil à qu'un imparfait du subjonctif paraît comme une fleur au printemps, naturellement, car notre langue a cette pureté , cette précision, cette rigueur grammaticale sans tape à l'œil qui fait sa beauté , avec la musique des mots que module un « accent » savoureux. Il n'y a pas de différence de "registre" entre l'oral et le littéraire, mis à part, peut- être, ces jurons et ces locutions crus qui donnent tout leur sel à nos « nhôrlas », et mis à part ce « style », cette « patte » qui font les grands auteurs, sur une vision singulière.

Sans doute viendra-t-on reprocher à nos Patois des différences, de l'auvergnat au provencal, du gascon au languedocien... Mais l'impossibilité , historique d'unifier l'occitan ( à quoi la graphie tente, efficacement, de remédier) en est la seule cause. Et puis, n'est-ce pas dans la nature des langues de présenter des « caractères propres » à un groupe que la géographie et/ou l'histoire ont plus ou moins séparés du reste des habitants d’une unité linguistique. Sans remonter au sanskrit et à l'évolution des langues indoeuropéennes, l'ionien d'Homère et d'Hérodote demande une attention particulière, par rapport à 1' attique, dans l'étude du grec. Ça n'amoindrit en rien l’oeuvre de ces deux génies de notre civilisation méditerranéenne.

Les paysans et les artisans furent (et demeurent, mais la t élévision aura tôt fait de balayer ces vestiges vivants si l'on n'y prend garde) les gardiens fervents de ces dialectes. C'est en hommage à cette longue filiation qui nous a conservé l'occitan et le breton que j'ai voulu ce numéro de l !0ccitanie où je suis né à la Bretagne où je vis. (La Sanguèze qui coule au pied de notre clos fut, à une époque , la frontière, aux Marches de Bretagne. Ce lieu, si j'en crois certaines cartes du cinquième siècle, fut l'extrême pointe I de l’Aquitaine, aux confins de la Neustrie dont une bande de son territoire la séparait de la Bretagne. Cela m’incite-à-dire, par plaisanterie , parfois, que nos Houches du Pont de Sanguèze sont, la proue de l'Occitanie).
EN plus, de celte à celte - même si une autre de mes galéjades est de prétendre descendre en ligne directe de Cro-Magnon, ce qui n'est pas incompatible, de Vercingétorix à Astérix, des Cadurques aux Namnètes, on est cousin, non ?




Coma un nèci
pintat que se barret defòra
e deraoret tota la nuech
sitat sul basuelh
dins un ranvers
ont degun passa

lo jorn novel lo jorn
me chercha grinha
e ieu que botava
la barba al vent
per lo saludar
davant d'entamenar
quela jornada nèva
e menar non destrenh

n'ai mas a far
aquel qu'a res vist
res auvit
e prener lo mangle

Quô li passara
davant que quò me tòrna

Aital disia mon paire.

Lavaur


Comme un nigaud ivre
qui se ferma dehors
et demeura la nuit entière
assis sur le seuil
dans un coin
où personne ne passe

le jour nouveau le jour
me cherche querelle
et moi qui mettais
la barbe au vent
pour le saluer
avant de commencer
cette journée
et faire mon ménage

je n'ai plus qu'à faire
celui qu'a rien vu
ni rien entendu
et à prendre le manche.

Ça lui passera
avant que ça me reprenne.

Ainsi disait mon père.

(version française de l'auteur)


Les poètes et le limousin

par Marcelle Delpastre

Ecrire en limousin, et qui plus est tenter dans cette langue une œuvre poétique peut paraître à beaucoup une gageure, sinon une utopie; et même à la plupart des limousins, qui tiennent leur langue pour un « patois » méprisable, comme on le leur a enseigné, il est vrai, depuis la petite enfance. Le limousin cependant, avant d'être banni des écoles comme les autres dialectes d'oc, étant « la langue de l'hérésie » - et surtout d’une possible revendication politique — le limousin a connu ses heures de gloire, quand sous la plume de nos meilleurs troubadours il était par excellence le « provençal », apprécié de Dante et chanté de l' Angleterre aux lieux saints. Ce n’est pas en vain que J.Roux, premier félibre de notre région, l'a célébré « langue des papes et des rois ». Mais il fut surtout la langue des poètes, Bertrand de Born, Gaulcem Faidit, Guy d'Ussel, tous les autres, et le plus grand surtout, Bernart de Ventadorn, dont le nom est celui d'une inexpugnable forteresse qui, elle aussi, ne céda jamais qu'à la trahison..

Je n'ai pas à retracer ici les vicissitudes de cette langue, que notre siècle de bureaucrates condamne du plus haut de sa Tour de Babel en papier, car elle n’a dit-on, ni grammaire ni dictionnaire. De fait, il n'est pas facile de consulter grammaire et dictionnaire limousins, bien qu'ils existent. Cependant, n'en eût-elle pas, que sa conversation à travers les siècles d'abandon littéraire, sa vitalité actuelle, n'en seraient peut-être que plus remarquables-. Une langue se garde aussi longtemps qu’elle correspond à une civilisation, c'est-à-dire que la civilisation occitane a été une réalité ; c’est-à-dire aussi que, de nos jours, il y a une prise de conscience de cette civilisation, telle qu'elle n'a peut-être jamais été aussi sensible.

Cette prise de conscience ne s'est pas faite en un jour. On peut admettre qu'elle a commencé avec Mistral et qu'elle a cheminé avec les grands félibres, subissant des fortunes diverses selon le talent et l'audience de ceux-ci; suivant aussi d'inévitables modes et le fatal recul des choses qui ne visent qu'à se maintenir. Toutefois, l'important est qu'aujourd'hui elle existe, du moins au niveau d'une certaine élite qui ne fait que s’élargir. Des bases qui la soutiennent, je retiendrai seulement l'unité de la langue, non pas une unité systématique et arbitraire qui ne correspondrait pas à la réalité des dialectes d'oc, mais d’abord l'unité de la graphie. A cet égard, le rôle de l'Institut d'Etudes Occitanes, et chez nous du Comité d'Etudes Limousines, est primordial.

Il ne faudrait pas croire, certes, que tout soit résolu ; que cette unité soit un fait acquis, ni que notre langue ait cette forme fixe vers quoi elle tend. Même au sein de l'équipe limousine, certaines tendances continuent à s'opposer, selon la formation de ceux qui la pratiquent. Et je dirai même que, témoignant par là de l'obstination d'une race qui cherche sa réalisation dans la perfection de l'individu et non dans l'apparence sociale, plus d'un prône l'usage de ses archaïsmes ou de ses propres découvertes, comme une coquetterie, un raffinement d'érudition. Ce sont là des détails, dont le lecteur sait bientôt faire la part, minime au regard de ce qui a été, en ce sens, obtenu.

De toute façon, telle qu'elle est, cette langue demeure vivante, et aux mains des poètes un instrument qui ne demande qu'à servir. Un instrument de choix. Enracinée au plus profond de la terre, de l'âme, de la civilisation limousine, elle a duré elle a mûri. Cependant, elle est neuve. Elle n'a pas l'usure d'une langue qui, comme le français, retombe toute seule dans les clichés et les automatismes de formes exploitées jusqu'à l'insignifiance. Chaque mot y garde sa valeur, chaque expression en est nouvelle. Et pour ce qui est de sa sonorité, c'est une langue méridionale : pour peu qu’on la touche, elle chante - comme l'eau des ruisseaux en cascades et le vent dans les châtaigniers plutôt qu'à la façon des cigales peut-être, mais elle chante ! Et si facilement que, loin d’avoir à forcer le ton, le poète risque davantage d'en faire trop que pas assez.

Les poètes ? C'est d'eux que j'aurais dû parler, si des poètes on pouvait dire autre chose que leur nom, qui ne soit pas erreur ou platitude : Joseph Roux, Paul-Louis Grenier, Jean-Baptiste Chèze, Albert Pestour. Voici des noms et ceux-là sont morts. TRACES espère bientôt les présenter, c'est-à-dire présenter leurs œuvres - leurs œuvres vivantes - grâce à l'excellente revue LEMOUZI dont ils furent l'âme poétique, et qui les accueillait comme elle accueille leurs successeurs: Jean Mouzat, Roger Ténèze, Raymond Bûche...

Marcelle Delpastre

 


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