Ecrire en limousin, et qui plus est tenter dans cette langue une œuvre poétique peut paraître à beaucoup une gageure, sinon une utopie; et même à la plupart des limousins, qui tiennent leur langue pour un « patois » méprisable, comme on le leur a enseigné, il est vrai, depuis la petite enfance. Le limousin cependant, avant d'être banni des écoles comme les autres dialectes d'oc, étant « la langue de l'hérésie » - et surtout d’une possible revendication politique — le limousin a connu ses heures de gloire, quand sous la plume de nos meilleurs troubadours il était par excellence le « provençal », apprécié de Dante et chanté de l' Angleterre aux lieux saints. Ce n’est pas en vain que J.Roux, premier félibre de notre région, l'a célébré « langue des papes et des rois ». Mais il fut surtout la langue des poètes, Bertrand de Born, Gaulcem Faidit, Guy d'Ussel, tous les autres, et le plus grand surtout, Bernart de Ventadorn, dont le nom est celui d'une inexpugnable forteresse qui, elle aussi, ne céda jamais qu'à la trahison..
Je n'ai pas à retracer ici les vicissitudes de cette langue, que notre siècle de bureaucrates condamne du plus haut de sa Tour de Babel en papier, car elle n’a dit-on, ni grammaire ni dictionnaire. De fait, il n'est pas facile de consulter grammaire et dictionnaire limousins, bien qu'ils existent. Cependant, n'en eût-elle pas, que sa conversation à travers les siècles d'abandon littéraire, sa vitalité actuelle, n'en seraient peut-être que plus remarquables-. Une langue se garde aussi longtemps qu’elle correspond à une civilisation, c'est-à-dire que la civilisation occitane a été une réalité ; c’est-à-dire aussi que, de nos jours, il y a une prise de conscience de cette civilisation, telle qu'elle n'a peut-être jamais été aussi sensible.
Cette prise de conscience ne s'est pas faite en un jour. On peut admettre qu'elle a commencé avec Mistral et qu'elle a cheminé avec les grands félibres, subissant des fortunes diverses selon le talent et l'audience de ceux-ci; suivant aussi d'inévitables modes et le fatal recul des choses qui ne visent qu'à se maintenir. Toutefois, l'important est qu'aujourd'hui elle existe, du moins au niveau d'une certaine élite qui ne fait que s’élargir. Des bases qui la soutiennent, je retiendrai seulement l'unité de la langue, non pas une unité systématique et arbitraire qui ne correspondrait pas à la réalité des dialectes d'oc, mais d’abord l'unité de la graphie. A cet égard, le rôle de l'Institut d'Etudes Occitanes, et chez nous du Comité d'Etudes Limousines, est primordial.
Il ne faudrait pas croire, certes, que tout soit résolu ; que cette unité soit un fait acquis, ni que notre langue ait cette forme fixe vers quoi elle tend. Même au sein de l'équipe limousine, certaines tendances continuent à s'opposer, selon la formation de ceux qui la pratiquent. Et je dirai même que, témoignant par là de l'obstination d'une race qui cherche sa réalisation dans la perfection de l'individu et non dans l'apparence sociale, plus d'un prône l'usage de ses archaïsmes ou de ses propres découvertes, comme une coquetterie, un raffinement d'érudition. Ce sont là des détails, dont le lecteur sait bientôt faire la part, minime au regard de ce qui a été, en ce sens, obtenu.
De toute façon, telle qu'elle est, cette langue demeure vivante, et aux mains des poètes un instrument qui ne demande qu'à servir. Un instrument de choix. Enracinée au plus profond de la terre, de l'âme, de la civilisation limousine, elle a duré elle a mûri. Cependant, elle est neuve. Elle n'a pas l'usure d'une langue qui, comme le français, retombe toute seule dans les clichés et les automatismes de formes exploitées jusqu'à l'insignifiance. Chaque mot y garde sa valeur, chaque expression en est nouvelle. Et pour ce qui est de sa sonorité, c'est une langue méridionale : pour peu qu’on la touche, elle chante - comme l'eau des ruisseaux en cascades et le vent dans les châtaigniers plutôt qu'à la façon des cigales peut-être, mais elle chante ! Et si facilement que, loin d’avoir à forcer le ton, le poète risque davantage d'en faire trop que pas assez.
Les poètes ? C'est d'eux que j'aurais dû parler, si des poètes on pouvait dire autre chose que leur nom, qui ne soit pas erreur ou platitude : Joseph Roux, Paul-Louis Grenier, Jean-Baptiste Chèze, Albert Pestour. Voici des noms et ceux-là sont morts. TRACES espère bientôt les présenter, c'est-à-dire présenter leurs œuvres - leurs œuvres vivantes - grâce à l'excellente revue LEMOUZI dont ils furent l'âme poétique, et qui les accueillait comme elle accueille leurs successeurs: Jean Mouzat, Roger Ténèze, Raymond Bûche...
Marcelle Delpastre