II est difficile, pour dire tout, de faire une manière d'anthologie locale, comme si les poètes n'étaient que des sous-produits d'un terroir, quand le poème a force dans tous les retraits, sur toutes les places, ou n'y a point droit de cité. Non force de loi mais de foi, en l'homme
et ses pouvoirs de se dépasser, de transmettre cette certitude que l'homme peut être un animal responsable et perfectible, riche de promesses, parfois ignorées, souvent étouffées sous la cangue de peurs qui permet aux despotes et à leurs sbires, à leurs sicaires, de tenir leurs sujets dans l'ignorance et l’asservissement. C'est trop espérer sans doute que donner à la poésie une des clefs de la libération de notre espèce. Je crois pourtant, en mes moments d'éclaircie/ que c’est elle qui nous a fait, longuement, lentement,- ce rue nous somme- .par fois, d'un peu proche de ce qui mérite le nom d'homme.
Fallait-il réunir des natifs du lieu (mais comment, où le circonscrire, le limiter ?) et eux seuls ? Retenir aussi ceux qui y vivent, y vécurent ? Ceux qui ont chanté ce pays, d'où qu'ils viennent ? C'est la formule qui me plairait le plus, puisqu'il ne s'agit pas de mettre en lumière
une langue populaire, (il y a, en fait, des mots, des tournures savoureuses, propres à cette région et j'ai le projet d'écrire un texte qui les illustre, mais le saurai-je ? Commençons, par exemple, par St Florent le Vieil, qui vit naître, et ce n'est pas peu Julien Gracq, et Edmond Humeau. Georges Drano est considéré comme un poète de ce pays (et de ceux que vous devez avoir lus), aussi bien pourquoi omettre Gilles Fournel ( que Claude Serreau salua dans notre précédent numéro ). Tous deux sont nés à Redon. […]
Un poète que je n'ai pas publié à TRACES ( il est mort avant d'avoir pu m'envoyer des inédits ) me fit un- effet inoubliable quand je reçus son Scorpion Orphée. Il voulut bien m'autoriser à en reproduire un pas sage. Le livre est sorti chez Chambelland. Voici Serge Michenaud :
1 Scorpion je suis ou Serpent peut-être
Un homme nu sous l'étoffe du temps.
Le temps de l'homme est aux bords de son être:
Entre les bords passe le grand chien vent.
Le chien qui hurle à travers vos fenêtres
Vole à ce monde son vieux testament.
Adieu la vie, adieu la mort et naître !
Ces doux pays revont à leur néant.
2 Ces doux pays s'éloignent vers l'enfance
Que plus jamais vous ne retrouverez.
Le paradis perdu prend ses distances
Avec le peu que vous aurez été.
Ce peu, le dieu qui brouille votre histoire,
Porte son deuil en tant d'humbles pays !
Moi qui me tiens debout sans même y croire,
Qu'en reste-t-il si ce n'est ce long bruit.
Gabrielle Marquet, qui reçut jadis le prix Villon, est née à Nantes. Cet extrait de son « Bonheur d'être » lauré,
Couleur de violon
ma belle armoire sans fond
ne sera jamais pleine.
J'y emprisonne des paroles
mes péchés s'y décantent
s'y endorment étouffés
ou s'y réveillent ardents
près de leurs sœurs vertus
qui discrètes prospèrent
parmi mes prières officieuses.
dit la clarté chaleureuse de sa poésie. Francine Caron, bien que d'origine picarde, a vu le jour à Batz sur Mer. Elle aussi fut distinguée par
le même jury, avec son Femme majeure, où la féminité exulte et s'exalte :
Or l'alchimie
à l'axe de la bouche
au sceau du sexe
Du point du feu
jaillir
pour gouverner les astres
Force de l'ente avec le monde
quand le corps iradie
et sculpte ses rayons.
Accord de femme à homme
quand ils complètent leur royaume
et qu'il éclatent,
avec la lune et le soleil agenouillés
Femmes et poètes, dans le pays nantais : Denise Dubois-Jallais, de Saint-Nazaire et, née à Nantes mais avec un nom bien occitan,
Anne Teussièras. Et, tant d'autres que je citerai en fin de numéro, pour que les amateurs et les chercheurs sachent qui chercher dans
les rayonnages des bibliothèques publiques et des librairies.
TRACES est connue pour publier de la poésie dite « moderne ». (Quel mot, et quelle nuance de sectarisme dira-t-on !). Je veux cependant évoquer quelques auteurs dont l'écriture est délibérément traditionaliste. […]
D’autres auteurs, annuellement réunis dans les Cahiers de l1Académie Littéraire de Bretagne pratiquent cette écriture, avec plus ou moins de personnalité.
Chiffoleau, qui imprima Cadou, tira divers recueils, fort bien, de H. Leray ou Magdeleine Labour, F.Triger, aussi, toucha au vers libre et au verset, non sans quelque délicatesse :
En route vers l’école
Des petites filles scrupuleuses
Relisent une dernière fois
leur leçon de géographie.
La carte de France a des teintes douces
Comme le ciel de ce matin frileux.
J'avais, voici une douzaine d'années, proposé à des éditeurs un échange d’adresse : 120 auteurs du pays nantais, contre l'équivalent, ailleurs marquer l’importance, numérique au moins, de « notre » contribution à la poésie contemporaine.[…]