La terre
Nous n'avons pas aimé assez, pour mériter la terre.
Nous n'avons pas aimé les arbres, avec les feuilles déployées du bourgeon à l'automne; l'écorce avec ses beaux lichens.
Nous n'avons pas aimé les eaux, ni leurs images de soleil, nous n'avons pas aimé la mer.
Nous n'avions pas aimé l'amour, que nous aimions plus que tout sur la terre. Nous n'avons pas aimé la mort.
Nous n'avons pas aimé la terre, ni les ciels où se poursuivent les nuées, ni l'humble vie de chaque jour, la plante qui rampe, le dessous des feuilles, la moelle de l'arbre; nous n'avons pas aimé l’hiver !
Nous n'aimions pas la pierre du rocher, le cœur de la pierre, ni les ombres cachées au-dessous de la pierre.
La nuit, la nuit et le sommeil tout chaud, ni le revers des plumes de l'oiseau ; nous n'avons pas aimé dormir...
Nous n'aimions pas le pain, l’odeur des ruches, les groseilles, ni les sombres poissons qui voient l'envers des vagues.
Nous n'aimions pas le feu ; nous n'aimions pas le vent ; ni la pensée qui se défend et se refuse, ni la pensée qui veut et qui dépasse la pensée. Nous n’avons pas aimé nos rêves. Nous n'avons pas aimé les mains qui nous tenaient sur cette rive. Ni ceux qui nous voyaient partir, et qui croyaient nous retenir avec leurs mains.
Nous n'aimions pas les lendemains ; nous redoutions les certitudes ; le marbre, les actes de foi, nous avions peur de ce qui bouge, et de ce qui ne bouge pas. Mous avons détesté les navires, nous avons maudi les sillons, le fer a gercé nos rides, le sel a mordu nos joues, Nous avons rejeté le fer, nous avons condamné le sel.
Malédiction ! Malédiction sur cette terre ! L'aurore, et sur les rosés du matin. La rose est tombée morte, et l'aube s’est fanée.
Et certes nous aimions le pain, les porcelaines, la soie, le parfum de la femme en amour. Nous aimions
ce qui manque à ce jour, et le déroulement de l’heure la mer – mais nous préférions le voyage. Nous n’aimions pas la terre assez, pour y rester.
Marcelle Delpastre