Jean Laroche

Jean Laroche

Artiste Jean Laroche dont la forte intériorité (déjà si évidente dans ses premiers livres) s'affirmera au cours du temps et des publications pour atteindre une densité remarquable. Artiste l'homme qui cherchera dans
le dessin un moyen auxiliaire d'expression. Artiste le poète dont le regard ne dénature pas l'aspect des choses mais l'exalte et nous le restitue.
L'élaboration d'une poésie concentrée et destinée à l'essentiel (c'est ce que l'on dit) incite irrésistiblement le poète aux restrictions et à l'ascèse.
De là un mépris affiché pour les agréments et les complaisances de style. On appelle ça le dépouillement. C'est à juste titre une des vertus les plus sacralisées de la poésie contemporaine. Cependant tout comme les médailles les vertus ont un revers. Il convient donc d'être prudent.
La poésie ne résistant pas à une trop grande raréfaction de la matière
la fameuse « économie de moyens » doit être strictement contrôlée. Heureusement pour lui (et pour nous), Jean Laroche a gardé le contrôle ;
s'il est allé très loin dans la voie du dépouillement, il a su mesurer les risques et conjurer le péril. Pour tout dire il s'est maintenu pour le mieux aux limites du possible.

Norbert Lelubre (extrait de Le roncier de mémoire - préface)



Jean Laroche est un poète difficile pour lui-même, lucide et exigeant. C'est aussi un poète qui possède son métier pour l'avoir appris par exercice préalable des moyens classiques. On ne saurait se passer de technique. Si libre soit-il, aucun poème ne peut s'affranchir des nécessités de la mesure et du rythme. Ces qualités de rythme et de mesure aussi bien que les ressources douteuses de toutes sortes, les grosses ficelles à éviter, s'apprennent à école du Classicisme. On ne s'embarque pas pour la poésie sans bagages. Pour avoir sous-estimé cette condition essentielle, beaucoup de poètes aimables ont produit des œuvres dont l'effet demeure en dessous des intentions. Les meilleurs états d'âme peuvent être trahis par le manque de formation ou d’expérience. Poète plein d’expérience, mais poète exigeant, Jean Laroche n'a que faire d’un divertissement d'esthète. Sa pensée poétique a d’autres mobiles. Je la connais assez pour savoir ce qu'elle représente d’efforts vers la simplicité, le dénuement, au profit de l'émotion directe. Enfin, pour Jean Laroche , le poète est bien le témoin de la condition humaine, de la grande inquiétude moderne faite de révolte et d’espoir, de conflits, de foi et d’incertitudes.
Norbert Lelubre (extrait Traces n°1)



à Michel-François Lavaur


Je voudrais être l'enfant qui entre debout dans la rivière
un chant partageant les eaux
II a trouvé la bague au fond de la prairie
La bague reposait au fond du grand puits vert
où les lits d'herbes d'eau sont des pierres humides
II marche dans les ciels
quand mars déroule des visages
tête à contre-courant
qui n'a pas oublié ses prunelles d'écume
les pinceaux amoureux sur la face des haies
les bois gravés du jour
la candeur d'un feuillage
L'épaule offerte aux lunules aux taches
aux lichens clairs des champs
à l'arbre effeuillé des lumières
il avance dans la prairie
dans les limons d'un haut pays
où les fumées lentement l'enracinent.



Nardigraphe de Lavaur

 

 

 

 

Publications

 

L’Éclat du ciel , dans Revue moderne, 1950
On n’oublie pas le jour, Éditions Seghers, 1953
Mémoire d’été, dans Cahiers de Rochefort, 1954
Passagers de l’avril, illus. de Geneviève Couteau, Éditions Chiffoleau, 1955
Ces mains vers l'aube, Éditions Chiffoleau, 1957
La musique est aveugle , Éditions Traces, 1972
Solitude de l’imaginaire, dessins de Cadou-Rocher, Éditions Archipel, 1972
Solaire-en-Bonnieux, en collaboration avec Robert Momeux, dessins de Françoise Laux, dans Cahiers des viviers du vent, 1975
Regard sur l’œil, Éditions Archipel, 1976
Impasses bleues, Éditions Traces, 1982
Le Roncier de mémoire, Éditions du Petit Véhicule, 1999



Salines prenez-moi la main
conduisez-moi
je suis l'aveugle des eaux profondes

Ma prison tiss ée de tempêtes
ma beauté des bords du vent
prends-moi la main conduis-moi
en ton jardin de tamaris
vers le fruit d'or de la mer

Je me heurte à tous les couchants
je souris dans les paysages
je sombre dans les feuillages

Avançons nous mériterons
un lourd pays de fin du monde.

Les jeux du temps sur la colline
avec l'extase des marais
la d éroute des roseraies
des canaux où le jour décline

une amiti é de terre et d'eau
cette voix qui creuse l'espace
l'oiseau qui tire le rideau
la brûlure d'un face à face

le cœur qui parle à son reflet
des miroirs jusqu'au bout du monde
où l'amour sombre et se défait

Oh le front lisse au fond de l'eau
Sur lui lorsque ma main l'enclôt
chavire un trésor de Golconde.

Publié dans Traces n°2

1962


Sur le point de finir on retourne sa vie
Ce qui reste de on l'interroge encore
Répondras-tu Seigneur à celui qui s'étonne
de voir fondre en tes yeux son image et son cri
de trouver si léger ce qu'on nomme un destin.

Sur le point de mourir et le sac retourné
du cristal des saisons l'on se voit prisonnier
Oh t'arracher taciturne lumière
cette poignée de bleu qu'on voudrait porter à la terre.

Publié dans Traces n°3

1963



à Renée Leclerc

Temps des tristesses couronnées
du soleil dans les murs
des saisons ouvertes comme des cœurs
et des rires à fleur de peau
des rêves des reflets dans l'eau douce
Grave le vélin d'une orange beauté du jour malade
Allume la veilleuse d'une chrysalide
dans l'écorce transparente des heures
Son attente crée la lumière
Et dis-toi que le moment viendra
où tous les monstres en liberté
éclabousseront hilares cette page
les arbres d'un si grand hiver
s'étonneront de leur solitude
Tu marches à marée basse
sur les coquilles éclatées du feu
et c'est toujours le temps de la plus belle
dont le buste souriant tourne chamarré de fumées
dès l'aube sur le manège miroitant du fleuve

Publié dans Traces n°7
3eme trimestre 1964


Je trouve des mots dans cette ombre
j'en ai trouvé chaque nuit
chaque jour gravé à ton chiffre
un coquillage de soleil

La rue pense à toi pense à moi
confond nos rêves dans ses arbres
On s'installait pour tout un jour
sur les quais d'or de la mémoire
au grand soleil des façades

Les ruses par-dessus les murs
méditeront toujours nos tristesses
En des bistrots fleuris d'azur
nous apprenions pour toujours
à vivre à mourir sous 1e soleil
l'éternité d'une figure
humaine et plus qu'humaine.


Publié dans Traces n°13

1965


Le matin bat son blé
Faces mortelles sous les platanes
Hier aujourd'hui
le même petit nuage de pluie
tourne au-dessus des maisons

Et Socrate va boire le poison
verte verte verte cigüe
devant quoi soudain pâlit
le bleu regard ami

Un ange passe
A peine le temps de rire
de la minuscule cloche matinale
à peine le temps de s'y blottir
Aux commissures de la bouche
dort une belle coulée de moisissure

Feuillages furieusement brasses
Que de vies mais que de vies sur la paille !

Publié dans Traces n°17

1967



entrez où la vie s'enveloppe
de musiques de plantes d'eau
do glaïeuls nets sous leurs bandeaux
car sur un visage d'eau pure
on voit mieux danser le soleil

on voit mieux sur les rideaux blancs
l'éclat doré de la blessure
que la pierre fait aux courants

dans l'heure unique et déployée du vent
la paille et la nacre du Causse

entrez la fleur est au malin
près du cadre veillant l'absence
la rose monte astre d'argent
ailes divisant la souffrance

ou sur la vague retombée
quand la lampe ferme le cercle
il n'y a qu'un visage heureux
que la clarté blanche supplie

la solitude lame nue
près du sourire de naguère
près du tournoiement de moments
et des moissons de fleurs coupées

dans la pièce vers la fenêtre
c'est l'été crié à tue-tête
la rose devant le rideau

on voit sur lui bouger défaite
parmi des passages d'oiseaux
la nuit dorée des plantes d'eau


Publié dans Traces n°42

1974




Publié dans Traces, été 2001


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