Sommaire numéro 63
Fin 1980

Textes :
Excocisme
, d'Angèle Vannier
Embuscade, La diseuse de bonne aventure, de Robert de Delahaye
Jean Laroche, Jeau-François Dubois, Bernard Sage, Yves Moulet, Jean-Pierre Nicol, Claude Serreau, Geneviève Thévenet, Victor Etcheverry, Pierre Bazin, Josette Barny, Odile Caradec
Michel-François Lavaur, extraits de Petits éléments pour un bestiaire, (l'émouchet, la morue, le héron)

Pages tirées à part et offertes par l'atelier de Jacques Souchu, extraites de Le Triangle sacré de Simonomis (éditions Traces)

extraits de Echo Inachevé de Jean-Pierre Gillot

Critiques de revues


Il existe un supplément au numéro 63 dans la collection Les moyens du bord , feuillets sous jaquette regroupant les tirages des typos amateurs ainsi que des extraits d'anciens numéros de Traces.

Norbert Lelubre, Les mains des morts
La rue des anges, extrait de "Histoire sans limites", illustré par Renée Leclerc
Hugues Pissaro, deux poèmes et deux gravures
Notice sur Jean-Pierre Thuillat : réalisation de l'auteur
Textes de Jean-Paul Bertrand
Alain Lebeau présenté par MFL extrait du Traces 100
Angèle Vannier, Le temps de Mélusine

Extraits de la revue

dessin de Lavaur

Toute nue tu marchais toute nue vers la mer
La tête repliée dans une absence aigüe
Dans une hypnose sans mémoire un peu plus vieille que la mer
Vacuité pernicieuse et peut-être fertile
Qui sait

Angèle Vannier




Ça ne va pas. J'avais déjà ressenti ce malaise, cette vacuité indéfinissable lorsque j'ai appris la morts de Louis Guillaume ou de Jean Malrieu. Ce geste de la main qui raie une adresse sur un agenda, pour cause de décès, je l'ai fait plusieurs fois depuis vingt ans, mais je ne saurai jamais biffer ainsi, avec désinvolture, d'un trait de crayon, toute une vie. Et pourtant, que sommes-nous ? Un mot au coin d'une enveloppe : décédé.

Les autres, Angèle Vannier non plus, je ne les connaissais pas, « en vrai » comme disent les enfants qui ne savent pas encore que la vérité d’une vie, c'est dans le poème qu'elle se trouve, je ne céderai pas a cette facilité de la formule. LA vérité, c'est un concept de prédicateur ou d'agent électoral. UNE vérité est dans le poème. Une autre vérité du poète est dans sa biographie. La cécité d'Angèle Vannier ou le travail obstiné de poète-artisan de Robert Delahaye ne sauraient être passés sous silence.

Robert Delahaye, je l'ai rencontré plusieurs fois, depuis 1954, où, avec Michel Velmans, il avait fait halte à la vieille maison d'école au Pallet où nous habitions alors. Il imprimait méticuleusement, sur une presse à épreuves, Alternances.

Sans doute n'est-il pas le premier à avoir imprimé, en amateur, une revue de poésie. (Qui est le premier ?) Il demeure, néanmoins, un exemple de ténacité et de travail bénévole. (Oserai-je ajouter que je sais de quoi je parle ?) Depuis 1933 - je n'étais pas né, et ce fait banal ne manque pas de moucher tout germe de superbe qui m’atteindrait pour avoir tenu le coup, pendant vingt ans - où paraissait, sous le titre du Lunain Bajocasse, sa première publication, il n'a cessé de « faire » des revues : Alternances, puis Présence de l'Ouest, ce titre qu'il nous avait demandé et qu'il avait repris, après que Jean Laroche l'eut donné à une de nos expositions, dans le hall de Presse-Océan, à Nantes, jadis déjà. Il n'a cessé d'œuvrer sur sa presse, ses casses, et sa table de façonneur. Ce n'eût été qu'une besogneuse et méritoire activité propre à bien remplir les temps libres d'un enseignant, si Robert n'avait montré qu'un talent de rimeur de salon.

Mais Robert Delahaye, comme Ang èle Vannier, est de ces poètes qui nous font entrer de plein pied dans leur monde qui n'est que le nôtre, transfigura parfois, souvent tout juste épuré, voire seulement choisi. Un moment de tendre complicité, un regard chaleureux, une parole, une présence perpétuée.

Les femmes poètes sont nombreuses. Angèle Vannier aura sûrement été une des plus surprenantes et familières à la fois, par cet onirisme luxuriant qui passe si bien au travers d'un texte fait pour le poème oral ( et l'on pourra rapprocher son Toute nue tu marchais vers la mer de La grande ballade le long de la mer de Norbert Lelubre qui, dans un registre différent, nous donne un aussi remarquable chant, un aussi riche lyrisme.)

Delahaye est de ceux qui savent convaincre le lecteur le moins pr éparé à percevoir la poésie que le poème est accessible à une saine sensibilité.

Michel-François Lavaur, novembre 1980



E M B U S C A D E

Une nuit de printemps Dieu était en voyage ;
Les fées et les démons prirent sa place à table :
Me voilà encerclé de serpents et d' étoiles,
Des plantes fabuleuses poussent dans mon sommeil.
Une licorne attend, debout sur mon épaule,
La saison de l'oiseau et des courses sauvages,
Les enfants exilés aux confins de la neige
Qui portent le secret de la saison nouvelle.
Le ciel frotte ses yeux, le vent croit aux prodiges ;
Un magicien ailé allume l'aubépine :
Dieu tombé de cheval biito dans les eaux vives.
Nous allons assisté au sacre de l'Avril.

Robert Delahaye

LA DISEUSE DE BONNE AVENTURE

La fille des saltimbanques
aux jambes couleur de tabac
cherche fortune de-ci de-là
au gré du vent hun.ide et des étoiles.

On 1a rencontre souvent
à l'heure de midi
dans un chemin sans issue et sans ombre
debout près d'une borne
comme une fille de Dieu en quête d'une obole
ou en méditation.

Elle a toujours une goutte de rosée au coin de l'œil
et un feu follet sur la joue.

Vous pouvez lui parler l'amour
si les mots d'amour parviennent à l'oreille des plantes
Vous pouvez la toucher de vos doigts brûlants
comme on touche le corps d'une amante endormie.

Vous pouvez lui offrir la chaleur de vos lèvres
l'eau du ruisseau la plus limpide
ou la moitié du ciel
vous ne la retiendrez que le temps d'un éclair
dans le lit à baldaquin de l'enfance.

Quand tournent les chevaux de bois
pour le garçon de la ferme eu regard timide
qui laisse tomber sa main sans défense
sur les genoux de la gitane
La nuit a déjà pris racine
dans la musique du limonaire.

Robert Delahaye
Ces textes sont extraits d'anciens manuscrits du poète.
Ils furent imprimés par l'auteur dans des recueils épuises: « Le pain sur la table » et « Ciel de Misaine »


C' était pareil à ces fontaines
Trahies par des bergers mortels

Toute nue tu marchais tu souffrais par la mer
La bête qui toujours
La bête qui divise
La bête au mufle incandescent
Fouillait la vanité des sables
Tu te sentais perdu
Et d'un vieux sang l'otage

Tu marchais tu chantais tu vivais par la mer
L à -bas c' était minuit sur les étangs de ton enfance
Sur le château défenestré
Par un é clatement de prisonnières aveuglées
Pour n'avoir pas depuis des siècles
Payé à l'homme leur tribut
Et des chansons dans les miroirs purgeaient des peines
Dont même la légende avait perdu le nom
Malgré le feu tournant de tes libres amours
Vécues sous l’ile hospitalière
De libres oiseaux migrateurs
Frappée de cécité toi-même
Tu restais envoûtée par le ballet des reines
Par le masque et l'encens d'un très vieil héritage
Tu rêvais d'une main sans lignes sans lignage
Qui t'ouvrirait la mer à la césure de ton sang
Tu marchais tu chantais toute nue vers la mer
La présence de l'homme à ta droite était vive
Mais elle s' éclipsait
Quand tu cherchais la lampe cette question posée par l’âme
Au temps qui ronge lies cheveux

( • • • )

Mais il fallait brûler les bibles de famille
Ecrites par le sang et non à l'encre bleue
Et il fallait d'un cri baser le sablier légué par les aïeux.

Angèle Vannier ( ( extrait de TRACES 15 en 1967 )


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