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Sommaire 56
1978

Lavaur/Argos 4, petits éléments pour un bestiaire

Ce numéro est consacré au bestiaire de Lavaur et regroupe :
Candi, le Saïmiri, le hérisson, l'effraie, la mouche, la piéride, le martin-pecheur, l'abeille, la grèbe, la pintade, le loir, le coq, le grillon, le veau, le persan, le bouvreuil, le chamois, l'ondatra, le poularde, le flamand, le rotengle, la levrette, la mante, le chevreuil, le bison, l'élan, la cavale, les rats, les pucerons, la pipistrelle, la mite, le coq, le troglodyte, la chatte la genette, la carpe, la bête, la chèvre, les harengs, la chienne, la sirène, l'oie, l'agnelle, Prince noir, les aras, le chien, la guenon, l'escagot, la palombe, les poules, le faisan, les canes, la girafe, la courtilière, la rossignol, les hongres, la grive, la corneille, le corbeau, la martre, la colombe, l'écureuil, le molosse, lhirondelle, le pigeon, l'apaloosa, le martinet, la mesange, le lièvre, le vanneau, la génisse, la huppe, le renard

extraits de Masque et miroir, Petite geste pour un homme nu, et Aubiat de Lavaur

L'amble d'un percheron
habitera longtemps les pierres
aux montées sans col
de tes lassitudes.

Un sablier magique
renversera la pente
une horloge paisible
apprivoisera l'ombre
par la vertu du pas
d'un cheval de labour
qui revenait des vignes
et dont le poil fauve
noirci de sueur
fumait dans le brouillard
d'un crépuscule de novembre.

LE CHEVAL

Mes nuits retrouvent
cet enfant qui ne dort pas.
Les flammes s'évertuent
à le veiller et tuent
parfois le rire d'un gnome
et ses yeux aux commissures
de l'ombre.

Il attend la grande chienne
blanche et douce comme
jadis la main de sa mère
la bergère magicienne
dont les abois et les crocs
chasseront les derniers fauves
qui devinera le gué
au remous des fièvres rouges
et du pont de son échine
le conduira vers le somme.

LA CHIENNE


Sirène armée de hanches
et de vraies longues jambes

bel animal doux comme
un pays vallonné

courbes et mamelons
dômes et creux moussus.
autour du miroir sombre
d'une âme d'eau dormante.

Les yeux de tes amants
poissons morts y surnagent
et mon cœur nymphéa.

(Soudain et plus brutal
qu'un galet dans les vitres
ton seul regard les blesse
et les laisse tremblants.

Le refus d'une femme
est la lance d'Achille
mais voudras-tu guérir
ce cœur tout pantelant ?)

LA SIRÈNE

La nuit les chiens sortent
dit l'aïeule quand la jeune
bru maudissant la renarde
rapporte une aile de pintade

par les combes ils prolongent
l'écho hilare des hulottes
et dans les cours de ferme
se répondent et colportent
le retour d'un malhabile
braconnier d'écrevisses.

A l'aube sous les frênes
un chercheur de cèpes trouve
intrigué par les mouches
le cadavre d'une agnelle.

L'AGNELLE

Le peintre du dimanche
qui copiait jusqu'aux noirs
sur les cartes postales
ne retouchera pas
l'ombre du campanile
sur le muret du cimetière
où sa voix désormais
ne sera que le bruit
du vent dans les cyprès.

Les femmes en visite
autour du lit poursuivent
leurs complots et médisent
en chuchotis terribles

mais voici que le rouge
s'avive et palpite
aux ailes des aras
et dans la chambre obscure
les meubles se regardent

ils sourient à la toile
de leurs nœuds éplorés
quand l'œil des oiseaux cille.

LES ARAS

Un midi sans clameurs où les heures vont l'amble dans le frémissement et l'odeur des joncs souples la genette a posé sa fatigue. Elle tremble
un peu sous le buisson quand la douleur la cingle.

Elle ne lèche plus sa plaie béante et semble
ne plus croire aux pouvoirs de sa langue. Le sable se colore sous elle. Un mulot dans le seigle
proche ne ferait pas frémir son petit mufle.

Son regard se durcit comme un pépin de nèfle.
Son œil même est galet au souvenir terrible
de la gueule du piège. Elle baille et s'étrangle.

Des ajoncs jusqu'aux baies du sorbier tout se trouble. Gravide et vigoureux espoir du dernier couple la genette agonise au pied d'un bouleau double.
LA GENETTE



Quand nous aurons perdu les glaïeuls de l'aurore nous resteront encore au ciel de la mémoire
ces floraisons que la rosée du songe
suscite au sol du somme

car il n'est de travée saccagée par la foudre
d'arches ni de piliers effondrés sous la crue
qui retiennent les yeux de traverser le fleuve

et je sais des violons
aux voix des carpes mêmes.

LA CARPE

Prendre pied. Côtoyer le friable. Tutoyer le vertige.
Jeter un grappin d'audace, un lasso de chance au sommet de la démesure. Tenter le téméraire. Funam-buler sur l'arête du risque. Jeter une tête de pont au bord de l'impossible. Echapper au péril par un autre danger. Se jeter vif au travers
de la mort.

LE CHAMOIS

Comme un rostre de souche noircie par le feu
jette un haut-le-ccrps sur ta promenade
(et son mutisme crie à l'étal du ciel rouge
dans cette fauverie du crépuscule)
la bête obscure est là qui te regarde.

Le jour la dilue mais le noir la révèle
elle épie tes faux-pas et te harcèle
invisible et sûre d'elle

un jour ou l'autre elle t'aura.

LA BETE

L'arme au pied, le garçon. Larme à l'œil sa payse. L'un sans l'autre.
Le matin que le gars prenait à bras-le-corps, la nuit qu'il épousait,
le jour fraternel, tout se désagrège.
La vie n'est plus la belle fille à contre-jour, l'ensoleillée ; corps-astre
de joie dans un halo de tissus vaporeux ; chevelure-comète ; l'amoureuse Anne-Lise Bouvreuil courant à sa rencontre. L'un vers l'autre. La vie patine et pourtant le seul vol d'un oiseau dans le verger qui touche la guérite, la gorge pivoine et le masque noir de l'ébourgeonneur, c'est tout le feu, la fête et le flux de l'amour d'Anne-Lise qui prennent le dessus avec les ébats du bouvreuil.

LE BOUVREUIL

Collé à moi comme fait l'ombre inverse d'un camion sur la route mouillée, ton cri me parasite, poularde pendue battant d'ailes les planches, jusqu'au bout de ton sang.
Femme qui ne sais pas (saoulée de bave et de clameurs aux gradins de l'arène ?), Carnivore pourtant, tuer vite, quel fils sera le tien ?

LA POULARDE

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