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4eme trimestre 1975

Dossier  : Claude Serreau, Jean Spéranza et Augustin Berbers
Poèmes : J. Sacré, M-D. Robakowski, Ch. Thomas, L. Dubost, J. Reboul,
F. Caron, Dagadés, J. Chatard. R. Bécousse, F. de Corni ère, M-F. Lavaur, R. Prin, A. Lebeau, N. Lelubre.
Critiques et études : M-F. Lavaur, R. Momeux


Editorial

On a rarement numéroté une livraison des cahiers trimestriels avec autant de désinvolture. Et pourtant, je ne peux même pas plaider coupable. Il ne s’agit là que de la conséquence d’une situation particulière. En toute franchise, la voici : depuis dix ans j’ai dû passer, en dehors du gagne-pain, la majeure partie de mon temps libre avec pioche, marteau, truelle ou quelque autre outil en main(s) sur le chantier de notre maison et autour. J’ai accumulé les retards. Pour m’en libérer, j’en suis réduit à adopter cette solution d’une édition groupant cinq trimestres. Pardonnez-moi cela. Les abonnements en cours n’en souffriront pas et les lecteurs auront leur compte de numéros. Nos amis de la première heure, fidèles depuis treize ans, comprendront cette décision que je prends
à regret. Elle seule me permettra de repartir d’un bon pied avec des livraisons trimestrielles régulières en
ce qui concerne les cahiers TRACES et moins de numéros groupés dans les carnets mensuels de Traces-magazine. J’espère votre indulgence que je sollicite en toute confiance. Plusieurs centaines d’auteurs remarquables pour certain très remarqués depuis janvier 1963 ont fait leurs premières armes dans TRACES
puis dans TRACES magazine. Traces demeurera cette revue ouverte.

Michel-François Lavaur


Jean Spéranza

Des images insolites et pourtant familières, un rythme haletant, comme un malaise que berce une tendresse, font
du poème de Spéranza une atmosphère très particulière. Ce n'est pas dès l'abord qu'on y pénètre. La porte n'est qu'entrebâillée. Mais une fois l'œil l'ait a ce demi-jour, on s'émerveille en découvrant que tout est à sa place,
quelque ténus que soient les liens qui nous unissent à ce monde énigmatique.
Lavaur (sur Spéranza : TRACES 22)



 

Le poète doit à la fois être au-dedans et en dehors de l'univers et de la vie ; au-dedans pour les décrire, en dehors pour les observer.
Wang Kuo-Wiei


L'histoire naturelle d'un poème est une histoire sans paroles ; pour cela sans doute m'est-il difficile de parler de la poésie...

Les armes et la foi : l'Inquisition ou la poésie ! Partie visible d1 un conflit, le geste du poète donne effectivement à voir...
C'est pourtant du silence qu'est né mon désir d'écrire des textes poétiques, des silences; ceux de l'occupation, des guerres coloniales ... des salles de malades aussi.

Il n'y a pas de silences anodins; 11 n'y a que des pierres que l'on ramasse pour marquer le chemin, les traces; la poésie, c'est aussi mettre en fuite les hommes établis, les idées reçues, une démarche su "la poésie veut quelque chose d'énorme, de barbare et de
sauvage.

Colloque particulier et bain de foule, le poème va du singulier au pluriel, d'un homme à tous les hommes. En cela sa tradition est libérale et humaniste. Tant qu'il y aura des injustices à dénoncer et une voix pour le faire, la poésie vivra. Son présent est construit avec la somme des agressions qui la féconde.

Le poète est un homme défini, modèle par les coordonnées de son milieu et de sa lutte. Le poème est un acte concret où le rûve n'inter vient que comme étincelle pour mettre le feu à la poudre du silence; aboutissement concret d'un désordre intime, le poème traduit les faits et gestes d'une conscience en éveil. C'est en songeant à tous les combats perdus par l'homme, que l'idée naît de la poésie.

Les mots sont moins des signes que des brûlots; les mots du poème s'adressent à la peau avant qu'à la raison.
Poème, supplément de vie: que ma minute de vérité soit celle du plus grand nombre. Poésie, convivialité: que mon bonheur ne soit que le reflet du bonheur des hommes.

La poésie, c'est encore mon cheval de Troie pour entrer dans la cité des hommes.


le rat des solitudes lourd de dépouilles
chemine
les rêves abandonnés flottent
épars
sur un tissu de jour
loin de leurs ports
loin de leur âge
séjour à l'aplomb du futur
le rat des solitudes nage
dans l'eau usée de mes rêves
et il y a sur son passage
comme un murmure d'approbation
!e rat est heureux et chemine
digne
vers le pied du mur où l'ombre l'attend
pour lui faire courage
le soleil est si dur
loin de leurs ports loin de leur âge
mis au futur
les rêves d'hier vont
tels des personnes déplacées d'un souvenir à un autre
et pour finir
le soleil s'en prend aux dépouilles qui puent
et le rat se rue loin de mes rêves
le rat des solitudes
tu peux venir la place est libre prendre ton tour
en mes amours.

 

une forêt sans racines
qui se déplace avec le vent
des arbres militants
qui cheminent
une forêt pour cacher
celui que l'on recherche
des arbres combattant
morts et famines
des arbres libres libérés
une main sans sa hache
des mains sans regrets
sans collets sans victimes
une forêt
dont on ne peut tromper
les branches
qui grandit avec les enfants
et meurt avec les regrets

ils ont abattu les arbres
assassiné les feuilles
ils ont mis à nu le sol
pour leurs charniers
ils ont passé des menottes
à l'éternité

la forêt est morte
terriblement morte
terriblement forte.


textes de Spéranza, extraits de : Parallélogramme




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