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Sommaire Traces 27-28
juillet 1970


Préface

Savoir s’il sera lu n'est sans doute pas le souci premier du poète car il é crit selon une nécessité interne - je parle du poète ; il n'est pas de mon propos de n'occuper des faiseurs pour qui la poétique est un tour de force et un gargarisme de fatuité - mais cela demeure, tue ou clamée, constante ou épisodique, comme une maldonne irréparable.

Même assuré d'être lu, par certains, le poète se demande qui le lit. Ainsi, un des collaborateurs de Traces, cèdent à la mode de la statistique, voulut que je lui fournisse le pourcentage de lecteurs paysans. Entreprise difficile car Traces ne fit jamais de différence entre un universitaire et un poinçonneur, un ingénnieur et un manœuvre, d'une part et d'autre part, ayant passe une partie de mon enfance dans une ferme de Corrèze, je sais trop bien que, moissonnant à cinq heures et « faisant l’étable » à vingt-deux heures, le paysan n'a pas de temps pour la lecture. L'hiver, ne direz-vous ? D’autres travaux d'entretien, de coupe de bois etc. l'appellent au dehors. La télévision achève de l'éloigner de tout contact avec le livre, contact que ses études réduites ne favorisèrent pas.


Où va, ne direz-vous, ce discours en prélude à LA TERRE DOUCE ? M'y voici : l'auteur est cultivatrice. Non épouse de cultivateur cossu, oisive et béate. Imaginez un hameau sauvage, deux fermes, loin du bourg, loin de la ville, parmi la montagne corrézienne et, dans la cour de l’une d’elle, manœuvrant le tracteur, retour d'une journée de labour,
une femme solide en veste et béret. C'est ainsi que je découvris Marcelle Delpastre à qui je rendis visite, un été . Paysanne donc mais plus encore car, voyez-vous, chez nous, n'est vraiment du peuple que celui qui parle sa langue et il n'y a plus guère que les paysans des villages pour en user. Marcelle Delpastre l' écrit. Non pas à la Mistral, phon étiquement. Non, elle l' étudie , comme elle s'adonne à l'ethnographie du Limousin, terre et race riches de traditions vivantes et d'histoire morte.
Morte aussi depuis des si è cles la langue écrite, et qui plus que moi, limousin déraciné à contrecœur, écrivant en langue occitane, dans notre dialecte que des touristes qualifieraient de local alors que, dit-on, Dante faillit faire sien pour la Divine Comédie notre limousin, tant les troubadours (quel beau mot simple : trobar (trouba = trouver )
les trouveurs donc furent estimés, ferait des vœux pour que renaisse et persiste notre langue écrite, grâce à des écrivains comme Marcelle Delpastre.

Michel-François Lavaur


La terre

Nous n'avons pas aimé assez, pour mériter la terre.
Nous n'avons pas aimé les arbres, avec les feuilles déployées du bourgeon à l'automne; l'écorce avec ses beaux lichens.
Nous n'avons pas aimé les eaux, ni leurs images de soleil, nous n'avons pas aimé la mer.
Nous n'avions pas aimé l'amour, que nous aimions plus que tout sur la terre. Nous n'avons pas aimé la mort.
Nous n'avons pas aimé la terre, ni les ciels où se poursuivent les nuées, ni l'humble vie de chaque jour, la plante qui rampe, le dessous des feuilles, la moelle de l'arbre; nous n'avons pas aimé l’hiver !
Nous n'aimions pas la pierre du rocher, le cœur de la pierre, ni les ombres cachées au-dessous de la pierre.
La nuit, la nuit et le sommeil tout chaud, ni le revers des plumes de l'oiseau ; nous n'avons pas aimé dormir...
Nous n'aimions pas le pain, l’odeur des ruches, les groseilles, ni les sombres poissons qui voient l'envers des vagues.
Nous n'aimions pas le feu ; nous n'aimions pas le vent ; ni la pensée qui se défend et se refuse, ni la pensée qui veut et qui dépasse la pensée. Nous n’avons pas aimé nos rêves. Nous n'avons pas aimé les mains qui nous tenaient sur cette rive. Ni ceux qui nous voyaient partir, et qui croyaient nous retenir avec leurs mains.
Nous n'aimions pas les lendemains ; nous redoutions les certitudes ; le marbre, les actes de foi, nous avions peur de ce qui bouge, et de ce qui ne bouge pas. Mous avons détesté les navires, nous avons maudi les sillons, le fer a gercé nos rides, le sel a mordu nos joues, Nous avons rejeté le fer, nous avons condamné le sel.
Malédiction ! Malédiction sur cette terre ! L'aurore, et sur les rosés du matin. La rose est tombée morte, et l'aube s’est fanée.
Et certes nous aimions le pain, les porcelaines, la soie, le parfum de la femme en amour. Nous aimions ce qui manque à ce jour, et le déroulement de l’heure la mer – mais nous préférions le voyage. Nous n’aimions pas la terre assez, pour y rester.

Marcelle Delpastre


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