Alain Lebeau

Je suis né le 6 mai 1938 à Saint-Nazaire (Bretagne) d’un père chauffeur de locomotive et d’une mère femme de ménage, reçue première du canton au certificat d’études à douze ans. J’ai vécu mon enfance à Nantes. J’ai été éveillé à la poésie par Yves Cosson, professeur de français au collège moderne de Nantes qui m’a fait découvrir Max Jacob, Francis James et René-Guy Cadou.

C’est grâce à un court séjour en Fac à Rennes que j’ai rencontré Gilles Fournel et connu Georges Perros qui a bouleversé ma poésie. Je suis revenu en 1963 dans la région nantaise et j’ai aussitôt intégré l’équipe de copains –poètes autour de Michel-François Lavaur, et débuté une riche aventure poétique et d’amitiés solides avec Laroche, Lelubre et Serreau et tous ceux qui fréquentaient la fourbithèque de Lavaur au Pallet. En 1983, j’étais au côté de Luc Vidal pour l’ouverture de Signes aux Editions du Petit Véhicule.

J’ai beaucoup milité au sein d’associations laïques et d’éducation populaire.
Professeur de Collège à Rezé, Bouguenais, Nantes, Trignac... puis spécialisé en formation de professeurs de français à l’étranger, j’ai vécu et exercé en Afghanistan, au Maroc, en Algérie, au Nigéria et en Egypte, toujours en aventures avec
ma femme Michelle et mes enfants Gaël, Yann et Erwann.

 

En retraite depuis 1997, j’ai assuré bénévolement avec des ONG, des missions de formation pour des professeurs de français au Liban, au Kosovo, en Afghanistan ainsi que deux missions en Inde et au Sri Lanka à la suite du Tsunami. Je suis retourné six fois en Afghanistan, ce pays d’ailleurs qui est mon pays d’ailleurs où j’ai croisé la haute figure du dominicain Serge de Beaurecueil.

 


Cofondateur des Verts-Presqu’île en 1993, je suis depuis 2008 conseiller municipal
sur une liste de gauche minoritaire élue à La Baule.

J’aime passionnément la vie faite de combats, d’amour, de musique, de livres à lire,
à écrire. J’aime passionnément la Bretagne, l’Afghanistan, la mer et le désert.

J’aime retrouver mes partenaires au sein d’un groupe de chants de marins et dans les festou noz. J’aime voir les gens heureux de chanter avec nous ou de danser un hanter dro.

J’aime ma femme, mes enfants et petits-enfants, mes amis connus et à venir ; j’aime mon chien, mon chat mon bateau à voiles.

J’aime les mots qui donnent la vie aux mots, des premiers cris aux derniers râles.



Portrait d'Alain Lebeau par Lavaur en 1965

Publications

Poésie

La morsure du soir, Ed. Sources, 1962

La vie à bras le cœur, Ed.Traces, 1965
Les mains dans les poches, Ed.Traces, 1967
Pour des colombes rouges, Ed.Traces, 1969
Le dromadaire à pétrole, Ed.Traces 1971
La parole sous le bras, Ed.Traces, 1977
Le soleil dans l’œil, Ed.Traces
Treize poètes marocains, avec Mohammed Zefzaf, Ed.Traces 1977

Ecrit sur la buée, Ed.du Petit Véhicule 1989
La moto rouge de Môla Nasrodine, Ed.du Petit Véhicule 2003
Derrière le tsunami, Ed.de l’Auteur, 2005
Ouvrez la cage aux perdrix, Ed. du Petit
Véhicule 2007
Afghanistan, le pays d’ailleurs,
Ed. du Petit Véhicule 2009


A paraître

Correspondance avec Georges Perros
La mer se noie !, poésie 1989/2009
Vingt ans de poésie
La deuxième femme de Bilal, contes afghans imaginaires

Publications dans les revues Traces et Signes

 

Récits

Djebel cocagne
, Ed.Naaman, Québec 1984
Oyibo, l’homme épluché, Ed.de l’Auteur 1990
kosovo Kosova, journal d’un promeneur solidaire,
Ed. de l’Auteur 2001


Nouvelles

Le violon sur les vagues, Ed.Traces 1996

Roman

La dame du Mont-Liban, Ed du Petit Véhicule, 2000

 


Afghanistan, le pays d’ailleurs

A Etienne Gille

C’est un pays d’ailleurs
Une île solitaire
Un lac de cailloux
Où les serpents tètent les chimères

C’est un pays de longues barbes sages
De vieillards accroupis
Et de guerriers furtifs
C’est au guichet des lourdes portes
Qu’on y dévoile la face cachée des femmes

C’est un pays de chaud et froid
De chevauchées interminables
De combats de molosses
De cris de faucons noirs
Sur les guirlandes enneigées
On y reçoit l’appel à la prière
Entre deux rafales mortelles
Deux râles empalés
Au-dessus des ruines de pisé

Quand la nuit se pose
Collée à la terre par la pluie
On entend dans le feu
Le roubab* et les tablas
Arracher un cœur à la pierre
Et souffler la fièvre verte
Sous les pieds fourchus des djinns

C’est un pays de rides
De cals de gerçures
Où tout est poussière de mortel
C’est un pays de cages
De tombes
A fleur de terre émiettée
Et de cerfs-volants fouettés
Au plus haut du ciel

 

 

C’est un pays d’ailleurs
Où l’on peut se perdre
Se retrouver
S’oublier
Quand s’éloignent les troupeaux
C’est le pays inimitable
Aux pics aussi cruels
Que le vice et la vertu
Aux poèmes aussi tendres
Que le verre filé
Entre les roses de Judée

C’est l’Afghanistan
Ce pays d’ailleurs
Ce pays d’en-toi
Qui rappelle à lui
La prière qui s’éteint
Ou l’étoile filante
Du pèlerin infidèle

Quand je volerai au-dessus de la poussière
Je quitterai ce pays d’ailleurs
Au coucher du soleil
Et je devancerai le jour
En Bretagne aux premières pluies
De retour au pays des mouettes
Je dirai à qui veut les entendre
Des contes à dormir les yeux ouverts

Kaboul/Tcharikar, 2007/2009

Afghanistan Le pays d’ailleurs,
publié aux Editions du Petit Véhicule
en 2009


Chaque matin

Chaque matin
J’ouvre mes volets
Sur les arbres et les fleurs
Et tous les monstres de ma nuit
S’envolent
Avec les cris des pies dans les sapins

Chaque soir
J’accompagne le soleil à son coucher
Derrière la pointe de Penchâteau
Quand le ciel rosit sur les algues vertes
Et que les goélands enfin se taisent

Chaque jour Je m’étonne
De la chance qui m’est donnée
De manger de boire
D’aimer et d’être aimé

Chaque nuit Gog et Magog
Me montrent du doigt
Sodome et Gomorrhe
Brûlent sous mes paupières

Tout le reste du temps
Je pleure devant mon écran
Où un paysan remonte le fleuve de boue
Son dernier canard sur la tête
Où une femme est lapidée
Par les hommes adultères

 

Assis sur mon derrière
Je gratte la lèpre des chimères

Le reste du temps en miettes
J’aimerais être ailleurs
Là où l’on n’entend plus
Les larmes du crocodile
Le glou glou des pipes à eau
Le cliquetis des culasses

Tout le rien de rien
J’aimerais chanter avec le pinson
Bête comme ses pieds
Et rire dans ma barbe à papa
De la chance qui m’est donnée
De balancer sur ma gidouille

Une lanterne magique
Du matin au soir
Du soir au matin
Entre la peste et le choléra
Content pas content
et cætrae
et coeterae

septembre 2010



Le jaune des mimosas

Le jaune des mimosas
Le blanc des aubépines
Ont déjà disparu
Avant le mai des plaisirs

Le printemps se cherche encore
Dans le vol déchu des éphémères
Les nuques fanées des jonquilles
Les seins glacés d’une nuit
Les tiges gelées sur le fil découvert

Un brin de muguet paresse
Entre les dents d’un rêveur

Il suffit de passer les ponts
De courir dans la luzerne
De répondre au coucou
De cueillir le trèfle rare
Dans les dentelles des marguerites

Il suffit d’oublier
Cette heure volée
Qu’on ne rattrape pas

Il suffit
Avant l’été
De goûter aux dorures du soleil

19 avril 2009



Je suis debout

Je suis debout
Face à l’océan
Sur le marchepied de la terre
Tout droit
Tout petit
Sur l’ourlet de la mer
Un ciel tout noir s’est couché à l’horizon
Ecrasant un soleil lessivé
Il pleut déjà sur les vagues d’ardoise
Où scintillent mille fumeroles
Quelque navigateur retardataire
Danse sur la houle qui se déhanche
Il va hisser son mouchoir au mât
Et prier le phare qui s’allume derrière moi
Je me retourne
Le vent me pousse dans le dos
Le monde n’a qu’un sens
Là-haut
Tout là-haut
Il y a un feu dans la cheminée
Des larmes sur les photos jaunies
Et mon accordéon qui chante
La quête du Capitaine Achab

29 octobre 2009



On le disait sans papiers

On le disait sans papiers
sans domicile fixe
sans queue ni tête
ni Dieu ni maître

accroupi
à la porte de la boulangerie
il disait bonjour
et tendait la main
merci et bonne journée

il avait été marin pêcheur
le poisson avait manqué
le bateau avait coulé
sa femme l'avait plaqué

un soir de grand froid
il rencontra le Père Noël
sans sa hotte dans son dos
sans ses rênes sans son traîneau

Ils burent les quelques pièces
chantèrent des cantiques
relevèrent un trader qui avait dérapé
embrassèrent un policier égaré

douce nuit de noël
pour une paire de miséreux
au chaud dans les journaux
les cours de la bourse sur le cœur

décembre 2009

Le manège des saisons

Je voudrais que le manège des saisons
S’arrête un instant au solstice vert
Et que la queue du singe repousse
Avant les grillades estivales

Je voudrais qu’un coup de vent
Carène la plage
Et ramène le sable des châteaux d’enfance

Je voudrais me lever matin
Pour enterrer la branche arrachée
Et replanter le tournesol inondé

Je voudrais que les cloches volantes
Les chandelles éternelles
Les quiblas les temples les pagodes
Les crieurs patentés
Se tournent enfin vers la voie lactée
Où passent les cigognes

Je voudrais m’oublier un peu
Et cesser de battre tambour
Le temps d’écouter
Les premiers coucous
Qui sortent de terre

Pâques 2010

( les enfants décrochent la queue
du singe pour avoir un tour gratuit)


Hier encore il promenait son chien dans la campagne
Il relevait son courrier à la boite du portail
Il lisait les journaux écoutait la radio
Il imaginait des lendemains

Il a neigé toute la nuit

Ce matin le chien est resté à la niche
Les lettres dans la boite
Et le soleil timidement
Fait fondre la glace
Sur la pancarte
A vendre

29 novembre 2010



As-tu écouté le ciel se coucher, un peu après le soleil ? Ces traces de sang
à l’orée de la nuit, est-ce un mauvais présage ? As-tu fait aujourd’hui tout ce que tu avais envie de faire, tout ce que tu pouvais encore faire ? Crois-tu que la vie t’accordera encore un sursis ?
Sens-tu déjà que tu n’as plus la force de lutter, l’envie de continuer ?
As-tu écouté le ciel se lever, avant le soleil ? Et la neige s’avancer à pas de loup sur l’Indou Kouch ?
Ta prière, Zalmaï, était-ce pour ta survie un jour de plus ? Pour demander pardon ? Pour dire adieu ?
Ton corps déchiré et sanguinolent n’a plus que des lambeaux d’âme.

« Mon Dieu ! ce corps qui est le mien est une mine des soupirs; ce cœur qui est le mien est un capital de douleur et de peine.
Je n’ose demander pourquoi tout cela m’est donné en partage, ni souhaite qu’une main se tende afin de me secourir »
Ansârî 133

29 novembre 2010

extrait de La deuxième femme de Bilal, contes afghans imaginaires

 

 

 


La pauvreté des enfants à Kaboul

Ils se sont aimés à la folie
Et se sont mariés dans la foulée
Ils ont fait des petits sans retenue
Et se sont querellés pour un rien
Fort heureusement
Ils se faisaient rire
Au bonheur comme à la peine
Ils se sont aimés tendrement
Et ont vécu ensemble très longtemps
Ils ont joué avec les petits de leurs petits
Et sont morts de rire à la fin
Enlacés dans leurs rides

2008       

 

 


La tempête se déchaîne
Contre nos volets de bois vert
La pluie déchire les derniers chrysanthèmes
Dans notre jardin d’automne

Sous la couette arisée
On se caresse doucement
En écoutant le vent hurler
Et le plaisir à la cape
Se creuse en vague
Et embrume nos yeux

On s’émerveille encore
Des rides sur la mer
Passé le Cap Finistère

décembre 2009


La tempête s’est levée tôt

La tempête s’est levée tôt
Pour vomir son mal de mer
Sur nos côtes
Barbouillées
Les glaires noires
Cataplasment les rochers
Cernent les sables blonds
Les riverains dérisoires       
Démêlent les goémons huilés
Avec leurs râteaux de plage
Les badauds s’indignent
Photographient
Commentent
Accusent
Pleurent un petit tour
Et remontent dans leur voiture
A pétrole
Dans sa baignoire de mazout
Un cormoran tourne sa tête
Comme un gyrophare
Une petite fille chausse
Ses bottes de sept lieues
Engluée
Et se précipite vers le cormoran
Piégé
Ses parents au pied de la villa
Se lamentent sur le ciré neuf
Taché
Les ongles noircis
Et les vacances de Noël
Gâchées...

décembre 1999


Il a replié son drapeau

Il a replié son drapeau
Il a essuyé ses yeux rougis
Il a couru devant les matraques
Il a crié encore une fois
Justice pour tous
Et il est tombé
Sur une poubelle renversée

Elle l’a relevé
Elle l’a pris par le bras
Ils ont couru ensemble
Vers la mer
Où fuyaient les goélands gazés
Ils se sont enlacés
Sur les éclats de grenade

Ils sont arrivés
Visières baissées
Boucliers brandis
Ils ont tiré sans sommation
Les goélands riaient
Les amants s’étiraient
Le monde allait changer de base

Ils ont pris leurs drapeaux
Leurs oripeaux
Leurs téléphones portables

Il ne restait qu’une plage nue
Qu’une caméra oubliée
Où tout remontait au début
Quand le drapeau flottait haut
Que l’homme et la femme chantaient
Et que les casques et les bottes
Attendaient leur tour
Au coin de la rue

2009


Quand j’étais petit
Je courais ma vie dans les bleuets
Les coquelicots
Les topinambours
Des avions incendiaient le ciel
Des grandes bottes noires
Enjambaient les cours de récréation
Quand j’étais petit
Les grands jouaient aux petits soldats

Quand j’ai grandi
Moi aussi
J’ai joué à la guerre
Les yeux grands ouverts
Avant d’élever des petits
Qui ont fait des petits
Qui disent raconte papy


Maintenant que je rapetisse
Je claudique ma vie
Dans les trous de bombes
Les trous de mémoire
Les trouées de bleu dans les nuages
Où des petits s’envolent
Pour échapper aux dragons

Ce soir de Noël
Je suis trop petit
Pour comprendre les grands
Et je voudrais jouer en paix
Avec mon puzzle des enfants du monde                      

décembre 2009

Dans ce pays
A chaque instant
Entre les hommes et moi
L’étincelle
Le cœur ouvert
Pour une galette chaude qu’on partage
Ou l’insulte aux lèvres
Pour un vernis égratigné
Le poing retenu
Quand on n’écoute pas ma chanson
Se heurter de front
Comme venant d’un autre âge
Et pleurer ou rire
Alors que râle à nos pieds
Le mouton égorgé
Un dernier regard vers La Mecque
Mes moulins à vent se cabrent un à un
Et s’arrêtent
Pauvres cœurs usés
Tandis que le tambour bat
Aux portes d’un vent imaginaire

Extrait du recueil Le dromadaire à pétrole
paru aux Editions Traces en 1971


Cette page a été réalisée avec l'aimable autorisation d'Alain Lebeau.

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