Petits éléments pour un bestiaire


Michel-François Lavaur rédige ce bestiaire depuis son enfance sans aucun doute. On sent les souvenirs des chemins d'écoliers, l'écoute des bruits de la nature, la peur de ce qu'on ne reconnait pas. A ce jour, il a écrit plus de cent soixante portraits d’animaux en vers ou en prose, réunis à travers plusieurs éditions d’Argos.
On y retrouve un grand respect pour tout ce qui vit, une connaissance du règne animal née de
l’observation attentive et passionnée. Voici donc quelques extraits de ce bestiaire où les animaux réels
ou fantastiques côtoient le poète.


Que je mâche ou maçonne, marche ou leçonne, fane ou rime, flâne ou trime, quelque nerf sensitif me relie à mes besteries.

Je ne fais pas mine d' être visité par la déesse. Je n'en ai pas toujours le contrôle. Et pourtant chaque frôlement, chaque cri, crissement, odeur ou couleur, chaque reflet inscrit en moi ses échos et ses traces. Ça me conforte. Ces éléments me sont indispensables comme l'air et l'eau. J'y puise sève. Je m'y enracine si profondément que privé de mon biotope, sans mon épouse et nos enfants, je ne suis que baudruche. C'est vivre en poésie. Pas une religion, ni une science. Seulement la présence consciente et l'écoute attentive, avec le faire pour recueillir et conserver le fugitif. Et le projet, non d'un moralisme, mais d'une morale, au sens premier : quelles mœurs adopter pour exister en harmonie, agir en symbiose avec mes commensaux, mes prédateurs et mes proies.

Quand il ne restera de notre union (la raison de l'homme et l'instinct de la b ête) que ce corps en suspens sur la peur, quand viendra l'heure ultime, c'est lui tout entier qui devra composer avec elle pour le dernier passage, l'animal éphémère qui voulut vivre comme un petit Lavaur de campagne.

Le Lavaur


Je l'ai cherchée pendant des heures, du lever à la méridienne au long des matinées de détente estivale, dans la paix des vacances, pour la mener au jour, en ce bois tendre et ferme, cet aubier que mûrit une certaine lune, à la lève d'août, cette pleine et prometteuse matière de sculpteur, bonne et franche comme une aube faste, pour peu qu'on y travaille avec le savoir-faire que méritent ses fibres.

J'ai grimpé, rampé même, dans des gorges secrètes, là où les racines sont des tentacules, les branches des grapins, où le moindre buisson se contorsïonne pour trouver la lumière.

J'ai suivi les sentiers de braconne. Je me suis égaré dans les raccourcis, tant les ronces et toute une jungle de lianes ont envahi nos chemins d'enfance, car mon Occitanie change jusqu'au cœur de ses bois.

 


Et puis un matin, cette joie de trouvaille, après des années de plaies et de bosses, à sa recherche.
Elle m'attendait, dans les taillis de l'oncle - nous sommes tous cousins dans mon village - au plus profond de la broussaille, ce cul de ravine où l'emprisonnaient les fûts denses et drus d'une profusion de fougères quasi arborescentes, comme une escouade de porte-pertuisane.

Tout y est : le cou, le long museau, les deux oreilles ; et surtout la come, longue et torsadée, plus que défense de narval.

C’est tout le travail d'une viorne autour d'un jeune
câtaignier, pendant presque une décennie de lutte entre deux plantes.

Couper. Tailler, polir, après qu'un long séchageait raffermi la chair de l'arbre, et je l'ai, ma tête de licorne.
La licorne


Il ne parlait pas volontiers. Il aurait pu croiser un pape sans relever la tête, attentif cependant à l'ombre des oiseaux dans ses chemins creux familiers. Il reconnaissait la mésange bleue de la charbonnière rien qu'au froissis des feuilles. Il n'était pas de ceux qui confondent accenteur et moineau et savait la couleur des œufs de la linotte ou des effarvates. Mais il ne parlait pas volontiers. Les enfants seuls, les vrais, pas les petits adultes déjà faux, mais les émerveillés, curieux et enthousiastes, crédules et futés à la fois (surtout ceux que blesse l'offense faite aux autres au nom du roi ou du dieu local) le rendaient loquace. Alors lui venaient des contes et des fables pour le seul plaisir de caresser des lèvres les mots comme galle ou galet : machu-pichu, pachamamac, traîne-sauvage ou samoyède. Lui qui n'était jamais allé jusqu'à la mer, faisait bruire la sylve autour de l' éveil du saïmiri.
Le saïmiri


 

 

 

Pardonne à la Belle d'user de ses charmes quand
elle pénètre au pays de la Bête. Accueille la Bête
quand elle s'avance pour te lécher les mains car
elle ne sait pas qu'elle est belle. Mais n'oublie pas :
la Belle et la Bête ne sont que les dames inverses
de ta carte à jouer au poker de la vie.
La Belle et la Bête

Dessin de René Leclerc pour la couverture de Traces 36/37

La nuit les chiens sortent
dit l'aïeule quand la jeune
bru maudissant la renarde
rapporte une aile de pintade

par les combes ils prolongent
l' écho hilare des hulottes
et dans les cours de ferme
se répondent et colportent
le retour d'un malhabile
braconnier d'écrevisses.

A l'aube sous les frênes
un chercheur de cèpes trouve
intrigué par les mouches
le cadavre d'une agnelle.
L'agnelle

L'amble d'un percheron
habitera longtemps les pierres
aux montées sans col
de tes lassitudes.

Un sablier magique
renversera la pente
une horloge paisible
apprivoisera l'ombre
par la vertu du pas
d'un cheval de labour
qui revenait des vignes
et dont le poil fauve
noirci de sueur
fumait dans le brouillard
d'un crépuscule de novembre.
Le cheval

Comme ce pigeon sauvage
qui volait à l'appel de ta voix
et que tu laissas roidir
dans les crottes de sa cage
l'amour de toi
périt de ta négligence.
Le pigeon



Dessin de René Leclerc


Lorsque l'envie dans le torse me germe
Sourde animale ainsi que rompre chaîne
L'envie d'errer à travers champs et bois
Et qu’ici demeurer je dois

Lorsqu'en moi sourd le désir de poème
Qu’il me souvient de nos suprêmes
Rêves d'antan si loin de moi
Et de mes ans déjà vingt-trois

Sans que j'aie su réaliser
Deux pages sauves de risée
Oh ! vain rêveur et fat peut être

Je bondirais par la fenêtre
Non dans les eaux ni sous les roues
Mais vivre comme un renard roux.
Le renard

 


Certains soirs, la fatigue ouvre des pans d'angoisse aux murs de la chaumine.

La disette a scellé sur toute la contrée, du pays bas jusqu'au plateau où s'ancre la masure, les fers d'un désespoir plus noir que cette nuit d'hiver dur et tenace.

Le garçon ne dort pas. Il écoute. Il hume. Il attend comme une catastrophe ; la chute du chêne qui veille au pignon ; l'assaut du démon par toutes les fentes, dans une furie de vent et de neige...

D'ordinaire, les bruits et les parfums le veillent. A travers la cloison qui borde sa paillasse, il savoure l'odeur de la litière fraîche et même le fumier, pour lui, est arôme de paix tendre et sûre. La chèvre éternue, elle mâche les feuilles. L'âne tire le foin de son râtelier, il se gratte, s'ébroue.
Et cette arche d'échos et d'accords dans les sons, les senteurs, l'ensommeille.

Maintenant, alentour, tout lui paraît hostile. Le cri d'effraie se fiche comme un dard de l'effroi sous les ongles.

La peur, la faim, le froid le prennent à la gorge.

II va crier, éclater en sanglots.

Pourtant, quand monte du ravin le hurlement sinistre, au lieu de céder à cette panique qui vient du plus profond des terreurs ancestrales, il trouve soudain comme une quiétude, serré dans ses guenilles, le menton aux genoux sous sa couverture, par la seule vertu de la maison natale qui toujours l'a protégé du loup.
Le loup


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